mercredi 4 juillet 2012

ANNA KAVAN (bis) / Obsessionnel.

 Quelques pages d'un numéro de la défunte revue "L'ennemi" consacré aux littératures d'Outre-Manche sous le titre prometteur de "Perfide Albion"... Une couverture vert gazon, franchement innommable, un titre comme graffité à la craie - rien d'engageant sauf à se rappeler d'autres anthologies de la revue en question...
On n'en saura pas plus. Les six pages signées Anna Kavan sortent de nulle part. Aucune trace dans les recueils traduits ou les rares articles consacrés à l'écrivaine anglaise, à peine connue de quelques lecteurs français, les moindres n'étant pas Viviane Forrester, Claire Malroux ou Christine Jordis, talentueuses passeuses.

Qui connaît aujourd'hui celle qui se cache sous le pseudonyme d'Anna Kavan? Helen Ferguson, écrivaine déchirante, est plusieurs fois mentionnée par AnaÏs Nin dans ses journaux comme l'amie qu'elle aimerait avoir, aux côtés d'Isaac Dinesen ou Djuna Barnes: "Printemps 1958. Je lis tout Anna Kavan." 
Elle a, plus qu'à son tour, été mise à l'épreuve (deux ou trois divorces, la mort de son fils) et n'a supporté de vivre qu'en s'adonnant aux drogues dures et à l'écriture.
De shoots d'héroïne -qu'elle s'injecte à l'aide de sa seringue surnommée "bazooka"- en internements psychiatriques, elle ne  cesse de réécrire les mêmes visions glaciaires, les mêmes cauchemars masochistes, où circulent de jeunes femmes fragiles et désorientées, uniquement désireuses de s'extraire du monde et qui réclament, à défaut d'amour, solitude et oubli -la mort enfin, tout ce que le recours à la drogue blanche et givrée est pleinement en mesure  de procurer. 

"Obsessionnel" est une histoire de revenant (de plus), littéralement mû(e) par le désir de sa veuve, en proie à des visions qu'elle appelle et elle-même au bord de la dissolution. Ce n'est pas la nouvelle la plus réussie de l'auteur- raison de plus pour retourner à ses autres textes!

D'Anna Kavan, répétons-le, il faut TOUT lire: "Neige",faux roman futuriste, vrai voyage infernal où l'angoisse prend la forme implacable de parois de glace, étau hallucinant, métaphore de la poudre que Kavan s'envoyait dans les veines ; les nouvelles oniriques et sinistres de "Julia & son Bazooka", seules disponibles pour le lecteur français; "Asylum pieces" surtout, ronde de fragments issus de la nuit  asilaire - un des plus beaux textes qui soient sur l'horreur psychiatrique; viennent encore "Demeures du sommeil" si proche de "la maison de l'inceste" ; "Laissez-moi ma solitude", et "Mon âme en Chine"...TOUT.


Pureté, désincarnation hantent les rêves mortifères dont s'arme Anna Kavan pour tenir à bout de bras la cruauté omnipotente des Autres. Figures pathologiques de rejet, de dévalorisation, ses héroïnes prêtent leur corps, leur voix, à l'expression acide  d'une fragilité démesurée, d'une béance -narcissique ou pas- que l'écriture peine à panser. 

Lâchons pour finir que lire Kavan  s'apparente assez bien à la saisie à pleines mains d'éclats de verre: les tortures infligées à ses alter ego féminins sont une mise à l'épreuve à laquelle le lecteur ne peut échapper , rivé lui aussi sur place, et dans le même temps, ne souhaitant être nulle part ailleurs...


Anna Kavan, Obsessionnel, nouvelle parue dans la revue L'ennemi, "Perfide Albion", dirigée par Gérard-Georges Lemaire, Christian Bourgois éditeur, 1983, Paris.

Lettre d'Anaïs Nin à Anna Kavan, Hiver 1958-1959: extrait.


"J'avais écrit, voici plusieurs années, à votre éditeur américain pour obtnir votre adresse, avec l'intention de vous écrire longuement. Doubleday me renvoya la lettre. A cette époque, j'avais été tellement émue par Asylum pieces. Il me semblait que c'était la première fois que quelqu'un pénétrait dans le monde de la folie avec autant de lucidité et de compassion. Pour la première fois tous les sentiments étaient exprimés clairement et rendus humainement compréhensibles. J'ai donné ce livre à lire à beaucoup de gens. J'étais étonnée que si peu vous connaissent. Puis j'ai lu vos autres livres. Je les ai beaucoup aimés. Je ressentais une grande affinité avec eux. Peter Owen vint alors me voir (il est devenu mon éditeur)et pour la première fois j'ai su quelque chose de vous. Mais j'hésitais à vous écrire avant d'avoir relu les livres.J'avais porté une lettre dans ma tête si longtemps que j'avais l'impression de l'avoir écrite. Vous avez accompli si bien, si parfaitement ce qui me semble être la tâche de l'écrivain de notre génération. Vous avez pénétré dans le domaine qu'il était inévitable et nécessaire d'explorer: l'irrationnel. (...)
Vous avez un style si beau, une telle clarté pour traiter de domaines confus et mystérieux."

1 commentaire:

  1. bonjour, ravie de lire vos posts, je mène actuellement un travail de recherche sur Anna Kavan, et j'aimerai pouvoir rencontrer des "fans", des blogueurs. possible de poursuivre cet échange, se rencontrer à ce sujet ? c.

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