samedi 16 mai 2015

JEAN MECKERT / Comme un écho errant


"Comme un écho errant, solitaire et paumé"... Jean Meckert - "Les coups", "Nous sommes tous des assassins"- ou, sous pseudo, Jean/John Amila auteur de la Série Noire,  à peine masqué sous la gaze du roman, compose le récit autobiographique, intrinsèquement maladroit d'une tentative de (ré)incarnation d'un moi perdu. Ou, pour le dire autrement, le récit d'une période brisée, envahie par la fragilité consubstantielle à sa perte de la mémoire profonde.

Un soir, sur le Faubourg Saint-Antoine, où il habite, Jean Meckert est assailli, violemment battu. Transporté à l'hôpital, il s'avère qu'il souffre d'amnésie. Il devient un homme condamné pour plusieurs années à une invalidité assujettissante, conséquence de cette "mémoire morte" qui recouvre désormais son passé. Les contours de qui il était sont  encrassés par une pellicule agissante au pouvoir démesuré ( la chance peut-être?) d'engloutir, de résorber  l'identité qu'il s'était forgée au fil des ans. 
Une taie pour l'heure impossible à saisir et à rejeter au loin. "C'était comme un écho errant auquel il manquait des parois pour se réverbérer." Interdiction  de dégagement, de retrouvailles, sinon trouées.

 "Commençait alors l'apprentissage conscient d'une solitude organisée. Et sans doute est-ce là que débute réellement l'histoire qu'on souhaite raconter, après avoir ainsi liquidé l'espèce de folklore d'une survie."

Alors que tout ou presque fait défection à Jean Meckert, sa soeur, une maîtresse-femme, une sainte-à-sa-façon, l'aide à reprendre pied au quotidien. Débordante ,dans son excès de chair même, d'idées toutes faites sur ce qui doit se faire ou pas, préoccupée de l'avenir de son frère, qu'elle (sur)veille sans relâche et imagine vissé à un transat de plage en région Paca, à quelques mètres d'un triste bungalow qui lui paraît le paradis de sa vie de jeune retraitée. Leur mère est tout aussi fêlée et sympathique: suspendue toute sa vie au mythe d'un époux déserteur parce que pacifiste, assez courageux pour désobéir aux salamalecs patriotes, elle meurt quelques jours après avoir reçu la révélation de la tricherie conjugale, qui ponctue amèrement son histoire de labeur, de convictions inébranlables et d'honorabilité mise à mal.

Toutes les deux disparaissent à peu de temps d'intervalle. A nouveau il faut réapprendre la solitude et tâcher seul de résoudre les inconnues de la mémoire, auxquelles nul désormais ne peut apporter le soulagement ou l'angoisse d'un apport extérieur, maigrement compensatoire - mais on prend ce que l'on peut... D'ailleurs, " certainement, ce qu'il y avait de plus important dans la mémoire, c'était sans doute la faculté de l'oubli. Il fallait laisser jouer la déhiscence."

Meckert étonne. Par ce témoignage qui vaudrait déjà pour ce qu'il énonce de l'histoire des opprimés (communards, ouvriers...), dans la voix d'un à qui on ne la fait pas et que la vie, très tôt vécue "à la dure" au pensionnat et à l'usine aurait pourtant à peine aguerri. Et davantage encore parce qu'il assume le rapport intime, sensible et surprenant à l'écriture, à la lecture, constitutives d'une identité dont nous n'aurions pas à rougir: "En un sens c'était évidemment pratique. Les mêmes livres, les siens ou d'autres, pouvaient ainsi servir à nouveau avec l'émotion d'un premier amour. C'était une excellente manière de retrouver une jeunesse et prendre un bénéfique recul sur tout un monde basé sur l'identité, la mémoire, l'histoire, toute cette calcification de la personnalité, alors qu'il aurait fallu apprendre tout au contraire à tout diluer pour entrer dans le sens de l'éternel et de l'incommensurable."

A l'imbécillité, la veulerie et le manque de conscience camouflés sous les oripeaux des toujours malodorantes "valeurs morales",voici opposée une intelligence "réaliste", c'est-à-dire informée par le réel, la conscience politique, l'indépendance d'esprit, la culture de l'insoumission: "L'accident" qui nous vaut ce texte endolori n'est pas sans lien avec les trois cent pages de "dénonciation" où étaient mise en lumière la politique odieuse, imprégnée d'idéalisme négrier menée par le gouvernement français en Polynésie: qualifier l'assujettissement de la population tahitienne par les colons métropolitains d'"immense proxénétisme" n'a pas plu. 
Quelques hommes de main ont eu à coeur de rappeler à quelle place un écrivain de seconde zone se doit de rester. 
Je veux croire que c'est au plus près de nous.


Jean Meckert, Comme un écho errant, éditions Joseph K., mai 2012.





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