A cette question, le court récit graphique élaboré par Christine Redfern et Caro Caron ne souhaite pas vraiment répondre... tant il est soutenu par le désir d'inclure le travail et les accidents de la vie d'Ana Mendieta dans le contexte brûlant de la production artistique féminine et féministe des années soixante-dix. Tout au plus aura-t-on un rappel de l'histoire familiale de l'artiste, contrainte par ses parents de fuir Cuba avec sa soeur pour se réfugier aux Etats-unis, de ses premiers travaux et de ses rencontres plus ou moins fructueuses avec le milieu artistique new yorkais. Au coeur du livre, la mort violente d'Ana Mendieta, défenestrée à la suite d'une dispute conjugale avec l'artiste Carl André -pour ma part, un parfait inconnu. On entre là dans le véritable propos de Redfern et Caron: rappeler avec beaucoup de vigueur et de conviction que les violences faites aux femmes ne restent pas seulement dans le champ du symbolique et lorsqu'elles se déplacent, se cumulent avec celles qui s'exercent sur leur corps, ne sont pas seulement le fait d'individus frustes, issus des classes populaires...
Et les auteures de dérouler en arabesques rapides les "affaires" Burroughs, Pollock et Mailer, dans un désordre qui, je dois le dire, ne m'a pas convaincue. Tous ces récits sont mis sur le même plan et comme noyés, "dé- problématisés". Ce qui est désigné - à raison- comme insupportable, via ces exemples, c'est le statut supérieur et idéalisé de l'artiste mâle blanc auquel se sont heurtées toutes celles qui ont voulu exister en tant que créatrices, porteuses en propre de discours, d'expériences -d'une voix. Or, ce statut n'a été, finalement, que légèrement mis à mal et reste le standard dominant. Quant aux violences perpétrées sur les femmes, l'omerta persiste, sauf quand il s'agit d'une célébrité quelconque ou bien qu'un "ailleurs, autrement" peut en porter la responsabilité, dégageant la nôtre du même coup.
Mais il serait injuste de minorer le propos de ce petit livre: l'énergie dégagée par le trait,rockn'roll, et jubilatoire ( Les deux auteures font gentiment leur fête à quelques membres de l'establishment artistique), les références nombreuses à cette histoire de l'art au féminin renouent avec un activisme qui fait écho, de manière soft, aux performances de Mendieta elle-même ( nue, le corps ensanglanté, basculé sur une table) dénonçant le viol d'une étudiante de son campus ou d'autres plasticiennes du body art telle Carole Schneemann. Enfin, une mention spéciale à "Personne d'autre", la préface de Lucy R. Lippard, incontournable dès qu'on veut travailler sur les femmes et l'art au vingtième siècle, aux côtés de Griselda Pollock, Laura Cottingham ou Laura Nochlin, entre autres.
N.B. La galerie Lelong a accompagné son exposition récente d'oeuvres de Mendieta ( septembre 2011) d'une publication; hormis ce texte monographique, je ne vois rien de récent sur cette artiste en français, seul un article dans un Art Press d'il y a dix ans ( merci D. et P.E.) et je ne peux m'empêcher de signaler que le fabuleux catalogue de l'exposition marseillaise "L'art au corps" ne contient ni contribution sur Mendieta, ni aucune mention iconographique de son travail...
"Nous voulons voir Carl Andre à côté d'Ana Mendieta, Lucian Freud à côté d'Alice Neel, Mary Cassat à côté de Degas, Sonia Delaunay à côté de Robert Delaunay, et décider ensuite qui nous préférons. Nous voulons voir Suzanne Valadon à côté d'Utrillo - qu'elle a formé, bon sang! c'était son fils. Nous voulons avoir une vue d'ensemble avant de juger, et nous ne voulons pas les regarder en pensant "c'était la seule femme". Nous formons la moitié de la population, occupons la moitié de l'espace. Et même si nous ne produisions que des courtepointes et de la dentelle, accrochons-les au mur et décidons nous-mêmes quelle oeuvre est la plus belle."
-Judy Chicago
Qui est Ana Mendieta?, Christine Redfern et Caro Caron, éditions du remue-ménage, Québec, 2011.
Et les auteures de dérouler en arabesques rapides les "affaires" Burroughs, Pollock et Mailer, dans un désordre qui, je dois le dire, ne m'a pas convaincue. Tous ces récits sont mis sur le même plan et comme noyés, "dé- problématisés". Ce qui est désigné - à raison- comme insupportable, via ces exemples, c'est le statut supérieur et idéalisé de l'artiste mâle blanc auquel se sont heurtées toutes celles qui ont voulu exister en tant que créatrices, porteuses en propre de discours, d'expériences -d'une voix. Or, ce statut n'a été, finalement, que légèrement mis à mal et reste le standard dominant. Quant aux violences perpétrées sur les femmes, l'omerta persiste, sauf quand il s'agit d'une célébrité quelconque ou bien qu'un "ailleurs, autrement" peut en porter la responsabilité, dégageant la nôtre du même coup.
Mais il serait injuste de minorer le propos de ce petit livre: l'énergie dégagée par le trait,rockn'roll, et jubilatoire ( Les deux auteures font gentiment leur fête à quelques membres de l'establishment artistique), les références nombreuses à cette histoire de l'art au féminin renouent avec un activisme qui fait écho, de manière soft, aux performances de Mendieta elle-même ( nue, le corps ensanglanté, basculé sur une table) dénonçant le viol d'une étudiante de son campus ou d'autres plasticiennes du body art telle Carole Schneemann. Enfin, une mention spéciale à "Personne d'autre", la préface de Lucy R. Lippard, incontournable dès qu'on veut travailler sur les femmes et l'art au vingtième siècle, aux côtés de Griselda Pollock, Laura Cottingham ou Laura Nochlin, entre autres.
N.B. La galerie Lelong a accompagné son exposition récente d'oeuvres de Mendieta ( septembre 2011) d'une publication; hormis ce texte monographique, je ne vois rien de récent sur cette artiste en français, seul un article dans un Art Press d'il y a dix ans ( merci D. et P.E.) et je ne peux m'empêcher de signaler que le fabuleux catalogue de l'exposition marseillaise "L'art au corps" ne contient ni contribution sur Mendieta, ni aucune mention iconographique de son travail...
"Nous voulons voir Carl Andre à côté d'Ana Mendieta, Lucian Freud à côté d'Alice Neel, Mary Cassat à côté de Degas, Sonia Delaunay à côté de Robert Delaunay, et décider ensuite qui nous préférons. Nous voulons voir Suzanne Valadon à côté d'Utrillo - qu'elle a formé, bon sang! c'était son fils. Nous voulons avoir une vue d'ensemble avant de juger, et nous ne voulons pas les regarder en pensant "c'était la seule femme". Nous formons la moitié de la population, occupons la moitié de l'espace. Et même si nous ne produisions que des courtepointes et de la dentelle, accrochons-les au mur et décidons nous-mêmes quelle oeuvre est la plus belle."
Qui est Ana Mendieta?, Christine Redfern et Caro Caron, éditions du remue-ménage, Québec, 2011.
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