mercredi 29 février 2012

dimanche 12 février 2012

Budd Schulberg: Al Manheim vs Sammy Glick.

"A quoi bon me jouer la comédie? Ce que je voulais, c'était arriver à le connaître à fond. Non que j'espérais résoudre un jour l'énigme de "Qu'est-ce qui fait que Sammy court comme ça?", mais ma vie était bien trop mêlée à la sienne, désormais, pour qu'il me fût donné de pouvoir l'oublier. Ou même de le vouloir.
Il était une plaie envenimée. Quelque chose comme une écharde encourageant le pus sous ma peau.
Rompre, maintenant, eût signifié pour moi, je le pressentais, que son souvenir continuerait à me torturer. J'étais pénétré du sentiment insensé que ce ne pouvait être qu'à force de m'enfoncer, de le percer comme une vrille, que je finirais par passer à travers lui et par me retrouver enfin de l'autre côté, libre enfin."

Budd Schulberg, What makes Sammy run?, 1941.(2005, 10/18, Paris)

jeudi 9 février 2012

Luc Sante, The factory of facts ( La fabrique des faits).

Luc Sante, d'abord. Un inconnu ou quasi en France - deux opus  traduits seulement- pourtant un rapide détour par le net m'apprend qu'il est l'un des contributeurs à la prestigieuse New York Review of Books et qu'il est l'auteur d'un livre remarqué - Low Life- qui devrait être adapté prochainement; qu'il est copain avec Jarmusch et que son article sur Patti Smith est salué par la presse américaine etc...
Tout cela, j'étais loin d'en avoir connaissance lorsque j'ai fait l'acquisition de L'effet des faits, occasion cheap à Gibert, voici quelques jours . Outre mon intérêt pour la collection d'Actes Sud intitulée Un endroit où aller, le texte en quatrième de couverture m'a intriguée suffisamment pour que je lise les premières lignes, dont on sait qu'elles sont, à quelques exceptions près ( mais lesquelles!) déterminantes. Et de lire sur place le premier chapitre, en bonne part déroutée et captivée par l'effet  miroir de l'ouverture. Sous les auspices du "overseas blues" en exergue, le motif initial -"Je suis né en 1954 à Verviers"- repris une dizaine de fois offre une surface de dépliement à des récits divers,sombres ( il s'agit de difficultés économiques, de fermetures d'usines, d'émigration, de déracinement...) et totalement séduisants... Leur véracité? peu importe -tout est vrai puisque Luc Sante l'a inventé. Seul ce que l'on m'impose de faire ici m'intéresse: considérer un départ sous l'angle de ses possibles, ses implications et ses étrangetés, envisager ce qu'il dégage comme lignes (la séparation, la fuite, l'aventure mais aussi la nostalgie), comme partitions.

Dehors il gèle, l'humeur et le temps me portent déjà vers les terres du nord, la Belgique que j'aime, bref là où se tient en partie le texte de Luc Sante, bien qu'il soit à la croisée de plusieurs  géographies, territoriales, personnelles, linguistiques et, bien sûr, culturelles.

Autobiographie, enquête, visitation de ce qui, au delà de la perte (l'enfance) subsiste en nous vivants (l'enfance), la dimension géologique, archéologique, de ce texte   m'a enchantée, et m'a évoqué un livre d'Alain Corbin,("Le monde retrouvé de François-Louis Pinagot"), lu il y a quelques années. Ici point de forêts; plutôt des villes industrielles. 
Au premier plan, une famille tentant un ailleurs, maladroitement, sans l'aplomb ni l'audace que l'on trouve si souvent retravaillés par la mythologie pionnière, et ne parvenant à exister, mal, que dans un seul "entre-deux" -le fameux in-between- au gré des allers-retours entre deux continents.

Depuis, Luc Sante a choisi de vivre aux Etats-Unis; il a choisi l'anglais "tout neuf,ce n'était pas la langue de mes parents, c'était la langue de Robert Louis Stevenson";il a choisi, et ce n'est pas un hasard, d'écrire sur les résonnances du passé, sur la disparition; il est devenu, presqu'inévitablement historien de la photographie... 

Faut-il parler ici de la mélancolie, la tristesse et la méticulosité de son écriture (la peinture de la  région natale de ses parents, le retour sur le quotidien ouvrier ou paysan des membres de sa famille via les lieux, les objets modestes, son goût pour l'infra-ordinaire)? De biais, d'une manière très personnelle - intime presque-, Luc Sante a "bâti" une architecture où circulent émotions, éléments de réflexion (l'incommodité langagière de son bilinguisme), à partir de photographies anciennes, de fragments d'archives familiales,de souvenirs.


Il sera à Paris au mois d'avril, à Beaubourg, pour évoquer le statut de la  carte postale comme documentation populaire... Pour ma part, j'essayerai d'en être; en attendant, "Lost City" est toujours disponible chez l'éditeur... 

Une fois n'est pas coutume... pas d'extrait mais allez jeter un oeil par ici: online.wsj.com/article/SB121217626838633437.html

Luc Sante, L'effet des faits, Actes Sud, Babel, Paris, 1999.









mardi 7 février 2012

Carl Seelig, Première promenade.

 26 juillet 1936

   "Quelques banales missives inaugurèrent nos relations; un échange de questions et de réponses brèves,pragmatiques. 
Je savais que Robert Walser, déclaré malade mental et interné à l'hôpital Waldau à Berne, au début de 1929, avait été transféré ultérieurement à l'hospice cantonal d'Appenzellausserrhoden, à Herisau, où il vivait depuis juin 1933 en qualité de pensionnaire. J'avais envie de faire quelque chose pour la publication de son oeuvre et pour lui personnellement. Parmi les écrivains suisses contemporains, il me paraissait la figure la plus originale. Il m'autorisa à lui rendre visite. Et c'est ainsi que, ce dimanche-là, tôt le matin, je me rendis par le train de Zurich à Saint Gall où je passai un bon moment à flâner en ville et à suivre, à la Collégiale, un sermon sur "le gaspillage du talent". A mon arrivée à Herisau, je fus salué par une volée de cloches. Je me fis annoncer au Dr. Hinrichsen, médecin-chef de l'hospice, lequel m'autorisa à partir en promenade avec Robert.
   Le poète, alors âgé de cinquante-huit ans, sortit d'un bâtiment voisin, accompagné d'un gardien. Je fus frappé par son apparence. Un visage rond d'enfant, comme divisé en son milieu par l'éclair, les joues teintées d'une légère rougeur, les yeux bleus, la moustache courte, d'un blond doré. Les tempes déjà grisonnantes. Le col cassé et la cravate de guingois; les dents en mauvais état. Lorsque le Dr. Hinrichsen voulut lui donner le haut de sa veste, Robert s'insurgea:"Non, le bouton du haut doit rester ouvert!" Il parlait ce même Bärndutsch mélodieux dans lequel il s'exprimait déjà à Bienne, durant sa jeunesse. Ayant quitté le médecin de façon plutôt abrupte, nous prîmes la direction de la gare de Herisau puis celle de Saint Gall. Il faisait chaud comme en plein été. En chemin, nous croisâmes des fidèles endimanchés qui nous saluèrent aimablement. L'aînée des soeurs de Robert, Lisa, m'avait rendu attentif au fait que son frère était excessivement méfiant. Que devais-je faire? Je fis silence. Il fit silence. 
   Et c'est sur cette étroite passerelle de silence que nous nous rencontrâmes."

Carl Seelig, Promenades avec Robert Walser ( 1936-1956), traduction B. Kreiss, Rivages poches, 1992, Paris.




mercredi 1 février 2012

Consulter les archives ( Un poème de Wendy Guerra).


J'ai trouvé ma photo dans la chronique sociale du 
                                       dix-neuvième siècle
la machine est accrochée à ma poitrine  il pleut fort
là-bas dans ma mémoire dans le verre liquide emprisonnant 
                                                  d'autres
    souvenirs
des archives désertiques qui expliquent
pourquoi je t'aime d'une façon   de cette façon équivoque et 
    impitoyable
comme si les lettres avaient mis six mois à apporter
                                               consolation
    et nouvelles de toi
Dans une vapeur au nom méditerranéen   tu arrives
avec la sténographie d'un code absurde je te demande de 
                                               revenir
j'écris emmitouflée   folle   sans fumer   sans me droguer
    sans drame
dans la proposition d'un mariage brisé   comme    la coupe
    d'albâtre 
que nous n'avons pas achetée   parce que nous n'avons jamais 
                                         eu cet appartement
    ensemble
vide   prêt à meubler
C'est l'an vingt et un et je ne trouve pas tes yeux sur mon 
                                                    manteau
je n'apparais pas dans les archives consultées
et j'ai beau chercher dans les journaux   


 
                                            si tu n'es pas là
                                                       Anaïs
      je n'existe pas. 




Wendy Guerra, poèmes inédits traduits du recueil Ropa interior,  Stock, Paris, 2009.