Tous les livres de Sjon ont en français des titres d'une beauté inouïe, étrangement poétiques, dus pour une large part à son traducteur Eric Boury. Le texte qui se déroule, en courts passages, frêles et denses, ne déçoit pas: conte nordique rassemblant dans une architecture cristalline les éléments de la sauvagerie, du châtiment, de l'amour et de la magie...
Qu'y a-t-il dans ce roman dont l'univers est tout sauf familier qui fasse soudain que l'on ait le sentiment de découvrir quelque chose du monde et de soi - ce qui revient au même, je le sais bien...?
Construit comme un opéra, ramassé sur une dizaine de jours, "Le moindre des mondes" nous transporte très vite, depuis l'ouverture d'une chasse à la renarde dans la splendeur des montagnes d'Islande vers un hors temps légendaire, là où les personnes se nomment encore fils de "-sson" ou filles de "-dottir"... où les accidents rocheux sont la trace d'une présence de divinités premières, confondues avec les éléments.
Il y est question non pas pêle-mêle, mais tout au long d'un agencement implacable et maîtrisé ( c'est peut-être
une faiblesse du livre que cet épilogue sous forme de lettre, éclairant les liens familiaux qui unissaient Hafdis et Baldur, mais au final, ça passe...) d'un chasseur, d'une renarde, d'une jeune fille trisomique, d'un savant herboriste, de métamorphose et de glaces....
Un vaisseau hollandais, fantômatique, erre et dépose une jeune créature au destin terrible ( handicapée, elle est livrée à la prostitution à fond de cale puis, débarquée, enfermée dans un réduit) recueillie par le narrateur... des années plus tard, au prix d'une mystification assumée, il lui offre une mise en terre lunaire, délicate, comme elle le fut... Face à elle, la sombre silhouette, coléreuse et cruelle du pasteur Baldur "fils de l'ombre", qui ne cesse de traquer une rousse renarde, superbe animal et,pris dans les glaces, à la lueur d'une aurore boréale, l'ayant dépecée, il s'incarne, se métamorphose en elle...
"Le moindre des mondes" est de son propre aveu un "winterreise" mais sa tristesse irréelle l'empêche d'être poignant: les personnages y trouvent un salut qui en vaut bien un autre et mi-homme mi-bête,rejoignent un ordre naturel,lequel n'a cessé de les rappeler à lui..." une femme est décédée et un homme a disparu".
C'est tout, ou presque...
Sjon, Le moindre des mondes, traduction de l'islandais par Eric Boury,Rivages poche, Paris, 2008.
Images: A.Tarkovski, polaroïd; Kiki Smith, drawing.
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