"J'ai trouvé le premier endroit qui fût à moi lorsque j'avais trois ans. C'est un souvenir si profondément inscrit dans mon esprit qu'il change tout le temps et ne change jamais. Je suis partie toute seule sur la route poussiéreuse. C'était la fin de l'été, les fleurs d'ajoncs dans les haies devenaient marron à l'extrémité de leurs pétales, se froissaient et tombaient. Des nuages blancs poussés par le vent traversaient le ciel gris à toute vitesse. Il n'y avait personne nulle part, ni d'un côté de la route ni de l'autre. J'ai regardé d'un côté puis de l'autre, tout du long et dans l'autre sens, et il n'y avait personne. Ceci est mon endroit, ai-je pensé, immobile, tendant l'oreille. Le vent gémissait dans les fils télégraphiques et la poussière blanche tourbillonnait sur la route et je restais dans mon endroit et je me sentais de plus en plus seule car la haie d'ajoncs et ses fleurs étaient à moi, la route poussiéreuse était à moi, ainsi que le vent et ses gémissements dans les fils télégraphiques. Je ne peux pas décrire la sensation de solitude qui m'a envahie quand j'ai su que j'étais dans mon endroit; j'étais bien jeune pour découvrir le fardeau de la possession, pour posséder quelque chose qui ne peut pas être donné à quelqu'un d'autre ou qu'on ne peut pas vous enlever, qui doit être gardé pour toujours. Je me souviens que je ne suis pas restée longtemps dans mon endroit : j'ai pleuré et j'ai couru à la maison, mais mon endroit m'a suivie comme une ombre et il est toujours près de moi (...) et je n'ai même pas besoin de fermer les yeux ou de demander le silence pour m'y retrouver, et une fois que j'y suis vouloir fuir le message du vent car il n'y a personne ni d'un côté ni de l'autre, nulle part dans aucun sens et seule la poussière, mais aucun être humain, tourbillonne sur la route (...)."
Janet Frame, Vers l'autre été, traduit par Marie-Hélène Dumas, Joëlle Losfeld éditions, Février 2011.
Photographie: Eugene Richards.
Janet Frame, Vers l'autre été, traduit par Marie-Hélène Dumas, Joëlle Losfeld éditions, Février 2011.
Photographie: Eugene Richards.
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