mardi 12 mars 2013

HILDA DOOLITTLE / Pour l'amour de Freud

"Il y a une ligne clairement dessinée, mais avant que je me sois réellement remise, ou que j'aie eu le temps de reprendre mon souffle, je vois surgir deux autres points et je sais qu'une autre ligne va se former  de la même manière. C'est ce qui se produit, chaque ligne est un peu plus courte que la précédente, si bien qu'à la fin voici qu'une série de lignes raccourcies forme une échelle ou donne l'impression d'en être une, appuyée sur le mur au dessus du lavabo. C'est une échelle de lumière, mais même maintenant je ne peux pas prendre le temps, comme je l'ai dit, de respirer. Je peux respirer naturellement, mais j'ai le sentiment de retenir mon souffle sous l'eau. Comme si je cherchais sous l'eau quelque trésor sans prix. Si je revenais à la surface, tout indice permettant d'arriver à lui serait à jamais perdu. Ainsi, bien qu'assise toute droite, je plonge en un certain sens tête en bas sous l'eau-dans un autre élément, et comme je semble maintenant si près d'obtenir la réponse ou de trouver le trésor, je sens que ma vie tout entière, mon être tout entier, seront détruits pour toujours si je manque cette chance. Je ne dois pas lâcher prise, je ne dois pas perdre la fin de l'image et perdre ainsi la signification du tout, si douloureusement perçu. je dois tenir bon, ou les images se brouilleront et leur enchaînement sera perdu. On dirait que je me noie; déjà à demi noyée par rapport aux dimensions habituelles de l'espace et du temps, je sais que je dois me noyer complètement, en quelque sorte, pour ressortir de l'autre côté des choses (comme Alice avec son miroir ou Persée avec son bouclier réflecteur). Je dois me noyer complètement et ressortir de l'autre côté, ou émerger à la surface après avoir plongé pour la troisième fois, non pas morte à cette vie mais avec un nouvel ensemble de valeurs, mon trésor dragué dans les profondeurs. Je dois renaître ou me briser absolument."

Hilda Doolitle, Pour l'amour de Freud,traduit par N. Casanova, Editions des femmes, Paris, 2010.

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