"...tout le reste de sa vie n'était plus à ses yeux que la bordure d'ombre qui entourait le foyer lumineux de leur passion..."
Une saison. Une femme.
Des désirs. Des désillusions.
Le plein soleil, et les ombres qui gagnent, lentement, autour de Charity et de ses tentatives pour échapper au sort étroit que lui réservent à la fois son tuteur, ses origines et la poussiéreuse bourgade campagnarde où elle croupit.
Ce roman assez éloigné des grands romans whartoniens en ce qu'il lui manque la coloration new-yorkaise, internationale qui signale à quel point elle obéit au conseil de l'ami Henry James d'"étudier cette vie américaine qui (l')entoure" aurait plutôt à voir avec "Ethan Frome". Comme cette histoire, "Eté" raconte un désir mis à mal. Hélice implacable, "Eté" surjoue la tension: les images d'ascension diffuses et multiples ( la montagne retrouvée, l'élévation possible à un autre rang social par le mariage, le cheminement vers une forme de maturité sexuelle, identitaire...) s'enroulent sans cesse autour de celles de la chute. Le sordide ( la masure des Hyatt, la visite à une avorteuse, le taudis qui sert de refuge à la fuyarde) traverse tout le texte, ne se laissant jamais complètement dissoudre dans les émois et les exaspérations d'une passion aux accents bucoliques. Pour chaque page d'étourdissement lumineux, coloré, sensuel, il y en a une autre où pénètrent plus ou moins subtilement les ombres, l'obscurité et ses menaces. Le point culminant étant le retour de Charity chez elle, dans la montagne proche, pour assister à la mise en terre de sa mère. Réellement orpheline, elle n'a plus d'autre choix que de redescendre, sur tous les plans, réels et symboliques.
Ainsi resserrées de chapitre en chapitre, ces découpes écrasent l'héroïne dans ses secousses pour se libérer. La fin du roman est sans concession un retour à l'ordre, un de ces "backlash" déprimants puisque Charity, comme une bête qui aurait échoué à quitter son enclos, revient chez son tuteur en qualité d'épouse, le mors aux dents. Rattrapée, elle aura goûté au plaisir et entrevu la possibilité d'une autre existence, plus raffinée, plus en accord avec un "moi" qu'elle pressent- sans y accéder.
Un temps, celui d'un été, elle a frôlé la réconciliation avec quelque chose de profondément vivace en elle: son corps aura parlé, senti, reconnu une part de sauvagerie, de force brute que Wharton met en lien avec son ascendance, rejouant la carte rebattue de la connexion "classe populaire/sexualité dangereuse". Sans sembler y croire totalement.... plutôt comme un alibi commun et commode. Conventions, toute puissance du patriarcat ( Tout de même!... Elle épouse celui qui a tenté de la violer alors qu'il est son tuteur et père adoptif depuis ses cinq ans, Monsieur Royall...)viendront inéluctablement à bout du pauvre roman de Charity.
Cynisme? Résignation? Edith Wharton sait mieux qu'une autre combien le chemin vers la liberté, vers l'indépendance est ardu et combien il nécessite souvent une fortune personnelle, ou des appuis qui font défaut à son héroïne.
Reste un roman grisant comme un mois d'Août, à lire les pieds dans l'herbe, l'oreille taquinée des seules vibrations des vols d'insectes. Un peu d'été, encore...
Edith Wharton, Eté, 10/18, 1996. Photographie: J.H.Lartigue.
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