dimanche 13 octobre 2013

ANNIE DILLARD / Mirages

"Tout l'été, des mirages apparaissent au-dessus de l'anse du Puget. Ils apparaissent et s'évanouissent. Pendant tout le temps que dure leur apparition, ils déchiquettent les îles et les eaux, les lacèrent, et nous rendent esclaves de nos sens. Tout se passe comme si l'été lui-même était un mirage, un rêve passif de plaisir, un leurre. En hiver, les plages sont vides; les mouettes languissent; le ciel, refroidi, sous le couvercle des nuages, est constitué d'une matière raisonnable. On allume tôt les lampes; on bloque les portes. On vit en esprit. Partout l'eau est vide; seuls les pétroliers continuent à passer; les sourdes vibrations de leurs moteurs Diesel et leur sillage puissant ne s'ajoutent au gémissement du vent que pour un court instant d'ébranlement supplémentaire; puis ils disparaissent.
Il n'y a personne dans les parages. Bien que notre bungalow soit directement sur la plage et que la vue s'étende sur plusieurs miles de côte, l'hiver, nous n'apercevons qu'une seule lumière humaine. Au crépuscule, quelqu'un, au Canada, allume une lampe; elle brûle près du rivage de Saturna, une île canadienne située de l'autre côté du détroit de Haro, à sept miles nautiques de chez nous.
 (...)
L'hiver, il n'y a personne, il n'y a rien.

Annie Dillard, extraits de Mirages, pages 172-178, in " Apprendre à parler à une pierre", C.Bourgois, 1992. Traduction:Béatrice Durand.



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