Celui que l'on désigne désormais comme l'historien du sensible, Alain Corbin, creuse de livre en livre les sillons d'une mémoire des formes qui nous environnent, des traces qu'ont si peu laissé les anonymes ordinaires de l'histoire quotidienne, des friches abandonnées par l'écriture historiographique en des temps anciens ( ou qui nous apparaissent tels, grâce à lui et à quelques autres, de G. Didi-Hubermann à Arlette Farge, pour aller très vite). "Champs Histoire" édite pour six euros (!) trois conférences prononcées à la BNF en novembre 2004. Il y est question d'eau, douce et salée, d'horizon et des rivages auxquels l'auteur a consacré l'un de ses plus beaux livres, "Le territoire du vide", de variations climatiques et chromatiques, d'"humeurs".... Bref, de la manière dont, à travers l'histoire de notre attention aux phénomènes météorologiques et au paysage aquatique nous pourrions élaborer les contours d'une histoire de notre rapport au corps, au voyage et à l'ailleurs, au temps aussi - libéré du travail, dérobé aux exigences sociales avant que l'ère des loisirs ne transforme en passage obligé les lieux de la baignade. L'eau douce, plus discrètement goûtée, tient sa place dans ces déambulations à travers les processus, les oeuvres (Michelet, Zola, Jules Verne, Bachelard, Bernardin de Saint-Pierre) qui ont construit une identité, une modernité qui sont encore les nôtres.
Encore un livre qui en contient d'autres et a l'air de les offrir à bout de pages pour une invitation au voyage et à la rêverie, pour un retour stimulant sur des territoires familiers, dont la puissance symbolique et sensible, pour n'être pas souvent formulée en termes rationnels, n'est pas moins fortement présente.
Alain Corbin, Le ciel et la mer, Flammarion, Paris, Avril 2014.
Photographie: Bernard Plossu
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