Tout autant que le récit de la longue liaison amoureuse qu'elle a entretenue avec le plus célèbre romancier américain du vingtième siècle, c'est un surprenant portrait de femme, qui vainc peu à peu, forcée par des sentiments qu'elle découvre profonds, les préjugés que faisaient peser sur elle son éducation sudiste, sa famille rigoriste et sa condition de femme dans un milieu sulfureux, celui du cinéma hollywoodien d'entre deux guerres.
Fille du Sud, qu'un premier mariage vite liquidé débarque en Californie, Meta Carpenter rencontre William Faulkner en 1935. Elle est alors secrétaire d'Howard Hawks; Hawks a recours au romancier pour remanier le scénario de "The road to glory"... Elle refuse une première série de rendez-vous ( il est marié, a une réputation épouvantable de coureur et d'alcoolique), il s'obstine; elle s'émeut... Leur liaison, malgré ses interruptions, ses aléas, ses chagrins, dure une trentaine d'années. Pendant lesquelles, par deux fois, Méta se remarie -avec le même musicien juif allemand rencontré pendant une des longues absences de Faulkner, requis par son travail de romancier et par sa famille légitime.
Compétente, respectée, elle mène une carrière professionnelle qui la conduit à retravailler aux côtés d'Howard Hawks, encore une fois, sur "To have and have not"( "Le port de l'angoisse") en 1944. Et encore une fois, avec son amant terrible, requis par le cinéaste pour redresser un scénario mal engagé, distribuant ses feuillets au jour le jour à Bogart et Bacall à l'évidence in love with each other et à Hoagy Carmichael - Faulkner se rendant "spécialement" sur le plateau pour l'entendre chanter "Hong Kong Blues" ou "Baltimore Oriole".
De William " Bill" Faulkner, Meta relate les difficultés à se plier aux contraintes du métier de scénariste ainsi que son incapacité, pour des motifs pas toujours glorieux ( il s'agit de ne pas écorner son image) à quitter sa femme alcoolique et, partant, à lui abandonner la garde de sa fille chérie, Jill.
Certainement, son récit fait la part belle à la figure de l'Artiste dont les tourments, les addictions aussi, génèrent l'activité créatrice et il n'échappe pas non plus toujours aux schémas convenus de la passion "backstreet"...
Mais voilà, il laisse poindre autre chose que le seul panégyrique: quand ce ne serait que l'arrière plan hollywoodien, le labeur des faiseurs d'histoires, le puritanisme sévissant au coeur du plus grand cloaque de la côte Ouest, ou l'ostracisme frappant ceux que l'on considère comme "déviants" ( l'alcoolisme de Faulkner lui ôte toute possibilité d'obtenir un contrat honnêtement rémunéré)...
Le récit de Meta Carpenter, au delà du témoignage, laisse surgir une "intelligence" de ce qui a été vécu, plus ou moins réussi, en tout cas gagné sur le reste, que ce soit la dépression ou la mort. Dans un cadre ultra référencé ( des passages de "Mildred Pierce" ou du " Désenchanté" de Schulberg, des réminiscences de Ben Hecht se superposent sans cesse à la lecture), nous sommes invités à nous émouvoir d'une histoire, presqu'ordinaire, très humaine, de deux qui se rencontrent, et s'aiment cahin-caha.
Pour autant, que cette histoire-là l'emporte après coup sur la dimension problématique, datée il faut l'espérer, de la soumission culturelle - et pas seulement féminine - à la figure fascinante du génie...je n'en suis pas si sûre...
"Le vrai William Faulkner?"
Cela m'avait échappé. La stupéfaction respectueuse était un manquement à l'imperturbable détachement professionnel que je m'efforçais, pas toujours avec succès, d'affecter. On marchait littéralement sur les célébrités. A la cantine du studio, à l'heure du déjeuner, on pouvait tous les jours apercevoir des gens comme Will Rogers, Madeleine Carroll, Spencer Tracy, Janet Gaynor, John Boles, Charles Farrell, Loretta Young, Victor Mc Laglen et Edmund Lowe. Des écrivains prospères, dont beaucoup avaient des pièces de théâtre jouées à New York, passaient par mon bureau pour se rendre à celui d'Howard Hawks et, l'autre jour encore, il avait reçu la visite de Zoé Akins. Ma réaction, lorsque j'avais entendu le nom de William Faulkner, n'avait pas grand chose à voir avec l'homme de lettres- en ce temps-là surtout connu à Hollywood comme l'auteur de Sanctuaire-, mais était due à la brusque intrusion d'une image de mon adolescence: à treize ans, tremblante d'excitation dans ma longue robe de taffetas et vacillant sur mes premiers hauts talons, j'étais arrivée à Oxford (Mississipi), invitée par ma tante Lottie White et ma cousine Lottie Vernon, d'un an plus âgée que moi, à les accompagner au bal de la semaine de Pâques de l'année 1922. Quelqu'un- une parente, quelqu'autre jeune excitée en robe de fête ou un jeune homme bafouillant avec qui j'avais dansé sur la musique des Magic City Syncopators- avait parlé de William Faulkner, le vaurien de la ville, qui écrivait des histoires pas très convenables selon le jugement des honnêtes gens, montait à cheval comme un casse-cou, chassait avec la canaille et les nègres, et se souciait comme d'une guigne de l'opinion qu'Oxford avait de lui.
Je me l'étais alors imaginé grand, un beau ténébreux à l'air maussade, et voilà qu'il était devant moi, peu impressionnant, de très petite taille, un homme au nez busqué et pointu, à la moustache bien taillée, dont les yeux bruns luisants restaient fixés sur moi.
"J'ai dans l'idée que c'est bien moi, ma'am, dit-il. En tout cas, je n'en connais pas d'autre."
Meta carpenter Wilde & Orin Borsten, Un amour de Faulkner, Gallimard, Paris, 1979.
Certainement, son récit fait la part belle à la figure de l'Artiste dont les tourments, les addictions aussi, génèrent l'activité créatrice et il n'échappe pas non plus toujours aux schémas convenus de la passion "backstreet"...
Mais voilà, il laisse poindre autre chose que le seul panégyrique: quand ce ne serait que l'arrière plan hollywoodien, le labeur des faiseurs d'histoires, le puritanisme sévissant au coeur du plus grand cloaque de la côte Ouest, ou l'ostracisme frappant ceux que l'on considère comme "déviants" ( l'alcoolisme de Faulkner lui ôte toute possibilité d'obtenir un contrat honnêtement rémunéré)...
Le récit de Meta Carpenter, au delà du témoignage, laisse surgir une "intelligence" de ce qui a été vécu, plus ou moins réussi, en tout cas gagné sur le reste, que ce soit la dépression ou la mort. Dans un cadre ultra référencé ( des passages de "Mildred Pierce" ou du " Désenchanté" de Schulberg, des réminiscences de Ben Hecht se superposent sans cesse à la lecture), nous sommes invités à nous émouvoir d'une histoire, presqu'ordinaire, très humaine, de deux qui se rencontrent, et s'aiment cahin-caha.
Pour autant, que cette histoire-là l'emporte après coup sur la dimension problématique, datée il faut l'espérer, de la soumission culturelle - et pas seulement féminine - à la figure fascinante du génie...je n'en suis pas si sûre...
"Le vrai William Faulkner?"
Cela m'avait échappé. La stupéfaction respectueuse était un manquement à l'imperturbable détachement professionnel que je m'efforçais, pas toujours avec succès, d'affecter. On marchait littéralement sur les célébrités. A la cantine du studio, à l'heure du déjeuner, on pouvait tous les jours apercevoir des gens comme Will Rogers, Madeleine Carroll, Spencer Tracy, Janet Gaynor, John Boles, Charles Farrell, Loretta Young, Victor Mc Laglen et Edmund Lowe. Des écrivains prospères, dont beaucoup avaient des pièces de théâtre jouées à New York, passaient par mon bureau pour se rendre à celui d'Howard Hawks et, l'autre jour encore, il avait reçu la visite de Zoé Akins. Ma réaction, lorsque j'avais entendu le nom de William Faulkner, n'avait pas grand chose à voir avec l'homme de lettres- en ce temps-là surtout connu à Hollywood comme l'auteur de Sanctuaire-, mais était due à la brusque intrusion d'une image de mon adolescence: à treize ans, tremblante d'excitation dans ma longue robe de taffetas et vacillant sur mes premiers hauts talons, j'étais arrivée à Oxford (Mississipi), invitée par ma tante Lottie White et ma cousine Lottie Vernon, d'un an plus âgée que moi, à les accompagner au bal de la semaine de Pâques de l'année 1922. Quelqu'un- une parente, quelqu'autre jeune excitée en robe de fête ou un jeune homme bafouillant avec qui j'avais dansé sur la musique des Magic City Syncopators- avait parlé de William Faulkner, le vaurien de la ville, qui écrivait des histoires pas très convenables selon le jugement des honnêtes gens, montait à cheval comme un casse-cou, chassait avec la canaille et les nègres, et se souciait comme d'une guigne de l'opinion qu'Oxford avait de lui.
Je me l'étais alors imaginé grand, un beau ténébreux à l'air maussade, et voilà qu'il était devant moi, peu impressionnant, de très petite taille, un homme au nez busqué et pointu, à la moustache bien taillée, dont les yeux bruns luisants restaient fixés sur moi.
"J'ai dans l'idée que c'est bien moi, ma'am, dit-il. En tout cas, je n'en connais pas d'autre."
Meta carpenter Wilde & Orin Borsten, Un amour de Faulkner, Gallimard, Paris, 1979.
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