Rien ne saurait préparer à l'étrangeté de ce journal, écrit par une enfant de six ans à l'aube du vingtième siècle (1904-1905), au fin fond de l'Oregon, entre corvées et corrections à la badine...
Chez la jeune Opal Whiteley, on ne plaisante pas avec le réel et on n'apprécie pas davantage les incursions dans le fol imaginaire, le roman des fées que s'invente cette petite fille pleine de fantaisie. Sa mère, (qu'elle fantasme comme adoptive, s'imaginant toute sa vie être la fille française du prince d'Orléans et de la duchesse de Bourbon-Parme) semble la battre chaque fois que la fillette imagine une solution "personnelle" et imaginative aux problèmes du quotidien; les tâches ménagères occupent tout le temps qu'elle ne passe pas à l'école et la rugosité immédiate de ceux qui l'entourent peut aller jusqu'au déchaînement - outre les coups de "la maman" ce journal fut réduit en des milliers de morceaux par une soeur d'Opal, et il faudra huit mois à son auteur pour le reconstituer, des années plus tard, dans la perspective d'une publication. Mais revenons à l'étrangeté inquiétante du texte. Tient-elle à la langue, enguirlandée des noms chantants dont Opal affuble les personnages de sa cosmogonie ? Vient-elle de l'échelle inhabituelle de ce monde enchanté, proche de celui des fées chéries par Arthur Conan Doyle ? Où serait-ce que la parole jaillissante, loghorréique, de cette enfant, se fait poétique, salvatrice? Un peu tout cela, et aussi la légèreté, l'audace et le profond besoin d'amour qu'exprime cette voix. Amour, attention... C'est là que prennent leur place les cortèges magiques d'animaux et d'humains qui comptent parmi les proches d'Opal: Saddie Mc Kibben, l'homme-aux-grandes-enjambées-qui-siffle, le corbeau Lars Porsenna de Clusium, Elizabeth Barret Browning, une vache poétesse et William Shakespeare, le vieux cheval.Cocasse et tendre ménagerie.
Avouera-t-on que la frénésie perceptible, l'exaltation fiévreuse du journal laissent pressentir le déséquilibre? A Boston, Opal fait publier ce journal qui la rendit célèbre. Puis quelque chose bascule: ce sera le départ en Europe, l'Inde encore, à la recherche de son "père", dans la perspective délirante de son roman familial. Internée à Londres jusqu'à sa mort en 1982 (elle a 94 ans) son épitaphe - Françoise Marie de Bourbon-Orléans, "I spake as a child" - porte trace de son enfouissement dans les zones lumineuses de l'enfance.
Pour nous, nous nous contenterons de l'appréciation de l'éditeur, Ellery Sedgwick sur son journal:
" Rien ne lui ressemble ni ne risque de lui ressembler."
Opal Whiteley, Journal au bord de l'eau, éditions La cause des livres, 2006.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire