Même si
elle fut la dernière chroniqueuse d’un groupe de Bloomsbury qu'elle a connu de
l'intérieur, ce serait une erreur de réduire le travail littéraire d'Angelica
Garnett à ce seul pan documentariste.
Les
quatre nouvelles (l'une est un petit roman, dur et brillant) réunies sous le
titre éloquent de Vérités non dites ne laissent aucun doute sur ses qualités d'écrivaine.
Petits mensonges, trahisons fatales, ressassements douloureux, personnages en quête d’amour et de reconnaissance…
L'opacité des êtres se raconte à travers des situations acméiques à couper le souffle et transpirent de notre côté du réel.
Au-delà du récit de
relations compliquées, d'une impossible compréhension et de l'étrangeté des
comportements entre proches, qu'éclairent si faiblement les lueurs d'une
rétrospection maladroite, Angelica Garnett ne cesse de projeter la difficulté
criante qu'elle a (eu) à exister.
Cette difficulté est d'évidence, quand mère et tante - les soeurs Bell- sont des figures
féminines d'exception, soufflantes de beauté et d'intelligence, consacrées
toutes deux à leur pratique artistique ( la maternité en plus pour Nessa), quand
on connaît la qualité symbiotique de leur relation et les remous qu'elle
engendrait chez Virginia, torturée par la jalousie et maintenue dans une
dépendance affective destructrice... Que dire ensuite du choix de la jeune
Angelica, à la photogénie d'elfe préraphaélite, d'épouser, en guise de geste
émancipateur, un homme - l'écrivain David Garnett- dont la relation avec
son père biologique - Duncan Grant- était notoire?...
Pas
étonnant que ces fictions dégorgent toute une confusion sentimentale, toute une
incertitude, celle d'une personne qui peine à se rassembler, à se ressembler.
Quels que soient les prénoms de ses héroïnes Angelica Garnett se devine dans
leur ombre, tremblante mais déterminée.
Que les
jeunes femmes tachent de s'émanciper de mères extraordinaires, et voici la
nouvelle intitulée Aurore qui surexpose deux personnages,
dont l'une, la narratrice, piège mortellement l'autre, à l'ombre immense d'une
mère idéalisée. Trop aimante, trop puissante, délétère. Pour échapper à l'engloutissement, peu de stratégies
valables.
Ailleurs,
c'est une femme plus âgée, seule, qui sombre dans le tourment d'une Amitié
délicate, entachée de non-dits et d'embarrassements. La vérité n'est pas bonne
à dire, elle ne l'est pas non plus à entendre...
Impossible pour ces personnages féminins de ne pas se tailler aux rêts d'une phrase tranchante, d'une lettre
irraisonnée, d'une conversation brouillée par la retenue des sentiments, lourde
de conséquences. Quelle est/ fut /serait la juste distance entre les êtres? Existe-t-elle
quand on aime? Qu'est-ce que le déraisonnable? Pourquoi d'aucuns
s'engouffrent-ils dans l'intenable, là où d'autres peinent à secouer leur joug?
Nul dans toutes ces nouvelles ne saurait se contenter des chemins tracés par la vie... Or pour chaque infléchissement le
tribut est terrible, exempt de toute possibilité de compassion: mort, solitude,
regrets obsédants. Points de non-retour. "Choses dernières". Absence, à l'autre d'abord. Le tuer parce que confusément, il constitue une
menace. Sombrer dans la désolation. En vain. Parce qu'il est des réparations impensables.
Angelica
Garnett, Vérités non dites, Christian Bourgois, Paris,avril 2012.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire