"Le 16 mai 1963 (Elle vient d'être très malade et s'est sauvée de l'hôpital)...
Je vis une vie de trappiste, on a dû faire sauter le verrou de ma porte quand on m'a traînée dans cette ambulance. Je ne donnerai ni conférence, ni lecture, ni réponse; je ne veux pas qu'on me prenne en photo.(...)
Chère Natalie, vous avez raison quand vous parlez de la douleur. Je dois faire face aux jours affreux de la vieillesse et de la détérioration physique. (...)
Le 31 mai 1963
... Il n'y a personne dans le monde littéraire qui n'ait entendu parler, n'ait lu ou n'ait pillé mon livre (Nightwood). Le paradoxe? Malgré un flot de critiques depuis 1936, pas plus de trois ou autres personnes n'ont mentionné mon nom. Je suis la plus célèbre inconnue du siècle. Qu'y puis-je? C'est mon talent, ce sont mes personnages, mais tous deux me sont étrangers.
Le 30 décembre 1964
... Je viens d'apprendre la mort de Carl von Vechten. Soudain toutes les feuilles de la forêt sont tombées. Je m'acharne sur mes vers, Dieu seul sait pourquoi. Les changements de saison remuent les parties les plus profondes de l'esprit qui oublie (...). Certaines époques deviennent légendaires et d'après ce que j'entends, aujourd'hui on se délecte - les jeunes surtout- des années vingt.
Je me demande ce qu'ils auraient fait à ce moment-là. Parfois nous sommes projetés sur un écran de télévision, avec T.S.Eliot ou James Joyce, Fitzgerald, Hemingway. Ce sont, je crois, toutes des photos de Man Ray.
Comme tout cela est étrange. "
Djuna Barnes, extraits de sa correspondance inédite avec Natalie Clifford Barney, parue au sein des Cahiers du GRIF n°39, "Recluses, Vagabondes", traduction Françoise Werner, Tierce éditions, 1988.
Photographie: Thelma Wood et Djuna B.
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