" Des psychologues avertis disent que le phénomène du déjà-vu se produit lorsque l'homme se trouve à un carrefour décisif, et que de la décision qu'il va prendre à ce moment précis peut dépendre sa vie entière.
Quelque chose de semblable m'était arrivé il y a une dizaine d'années à Torjok justement. J'étais venu voir le prêtre Vladislav Svechnikov pour rassembler de la documentation, je voulais écrire sur lui et finalement nous avons passé notre temps à parler. Son fils spirituel, Sacha, travaillait alors à l'église comme responsable de l'entretien de poêles. Il se levait à quatre heures, partait dans les matins sombres et glacés du mois de mars, rentrait avec, sur lui, l'odeur de la fumée de charbon. Il me semblait être l'homme le plus heureux au monde, il ne possédait rien. Rien de superflu, seulement ce qui était pour lui l'essentiel. Alors que moi je n'avais que du superflu: des relations inutiles, un travail inutile, une maison inutile où je vivais de façon inutile, sans dieu et sans espoir. Soudain, dans le jardin de l'église, le vent fit tanguer les tilleuls de mars, un vol de choucas tournoya au-dessus des coupoles, et j'eus l'intuition que cette source de vie m'était connue, qu'il suffisait que j'arrive à me souvenir de l'endroit où elle se trouve pour savoir comment vivre!
A cette époque déjà, j'étais en quête d'une source. Je ne l'ai pas trouvée. Une semaine plus tard, ma vie déraillait. "
Vassili Golovanov, Espace et labyrinthes, traduit par Hélène Châtelain, Verdier, collection Slovo, 2012.
Photographie: Ekaterina Anokhina, Inner Mongolia, Dienacht Publishing, 2013.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire