"J'ai grandi sans beaucoup d'illusions, en un temps où les contes de fées passaient pour malsains ( ce qu'un de mes professeurs avait dit à ma mère) et où l'imagination n'allait guère au-delà de Mr Propre ou de l'Alka-Seltzer. Nous étions raisonnables, réalistes, prosaïques, sans romantisme, nous avions conscience des problèmes sociaux et étions politisés, que nous lisions les journaux (si on savait lire, en fait) ou pas. Les Kennedy étaient les héros de nos contes de fées, l'intégration, la conquête de l'espace et la Bombe les trames de nos premières années scolaires.
Ce n'était pas un temps où nous pouvions séparer nos propres vies du monde extérieur. L'idée était de ne pas protéger les enfants - "exposer" était alors le terme en vogue et il prend tout son sens, du moins dans le contexte-, mais les choses sont allées trop loin avec nous. Traînés dans le bourbier de la Pertinence et de la Triste Réalité, nous avons acquis une certaine dureté, l'attitude Merci-je-sais. Non que nous sachions réellement tout, mais nous le pensons souvent. Peu de choses nous choquent ou nous surprennent, pas plus qu'elles n'ébranlent notre certitude d'avoir raison, ni ébrèchent les conclusions que nous tirons d'idées très arrêtées et souvent erronées. Nous voyons de l'hypocrisie dans les discours politiques. Nous jouons à la vulnérabilité, à l'honnêteté, à l'ouverture, au concept de groupe, à la confiance, mais ce dont nous sommes vraiment le plus proches, c'est de la respectabilité.(...)
Tout cela s'ajoute à cette attitude blasée et déjà lasse dont je parle. Oui, je sais, nous appartenons à la Génération Pepsi. Je sais tout ce qu'on dit sur notre "folle exubérance" - notre musique, nos vêtements, notre liberté, notre énergie et notre détermination. Et il est vrai que physiquement nous sommes forts, énergiques, que nous dansons, surfons, faisons des randonnées à moto, restons éveillés toute la nuit tandis que nos parents secouent la tête en disant:" Oh, être jeune à nouveau..." Ce que j'ai en tête, cependant, c'est une autre image, j'entends des mots à peine audibles, des mots murmurés comme s'ils réclamaient un effort extrême, presque surhumain. Je vois des gestes au ralenti, des silhouettes figées. Des mômes en train d'écouter de la musique en marquant le rythme de la tête. Ou en train de dormir - surtout dormir. Veiller tard, se lever tard. Nous sommes fatigués, souvent plus par ennui que par dépense physique, vieux sans être sages, connaissant le monde non pour l'avoir parcouru mais pour l'avoir vu à la télévision."
Joyce Maynard, Une adolescence américaine, Philippe Rey, Avril 2013.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire