Singulière
et douloureuse poésie que celle d'Elena Gouro, compagne de route du futurisme
russe. Auteur de trois recueils à peine, peintre, cette jeune femme, finlandaise d'origine, aurait pu figurer dans la liste des artistes sans oeuvres de J.Y.Jouannais. Elle n'échappe à l'oubli que le temps de quelques pages, quelques vers traduits du russe par S.Fauchereau, entre des noms que la postérité a mieux accueillis. La
mort d'un jeune enfant, l'anéantissement, voilà les rares indices d'un désespoir contourné par l'adoption d'une posture de déni étonnamment persistante: berceuses, comptines et autres éléments d'un dialogue ininterrompu entre l'enfant mort et une mère qui n'en revient pas, littéralement, de cet arrachement...
L'oeuvre en fragments d'Elena Gouro a laissé quelques traces fugaces dans les archives de ses contemporains. Ici une note dans un journal (Block) ou là un poème (Kroutchenykh): les avants-gardes, ce n'est pas un mystère, sont éminemment masculines, et concèdent aux femmes trop souvent le seul habit de la Muse ou un espace d'expression "en bordure"... Or ce qui frappe dans ces deux ou trois pages, c'est le choix assumé d'une impureté poétique, alignant prose, chants, blancs, notations subjectives, oeuvrant dans un même corps textuel à l'expression MODERNE d'une intériorité fébrile.
"Elena Gouro est impatiemment claire" , la formule est splendide. Mais l'on aimerait, avec autant d'impatience, qu'Elena Gouro soit moins méconnue.
"Elena Gouro est impatiemment claire" , la formule est splendide. Mais l'on aimerait, avec autant d'impatience, qu'Elena Gouro soit moins méconnue.
"Ici même dans la chambre se cachait l'extrémité
d'un écheveau de circonstances,
usée par la funeste journée d'hier
par la suite des jours.
Il était ici même à côté, dans la chambre
Moi, soudain, j'ai cru - que c'était ça:
C'est qu'il ne faut avoir peur de rien,
Mais qu'il faut chercher un signe secret.
Et j'ai accepté de bonne foi; sans avoir peur
je regardais maintenant
le carré fermé de la chambre...
La porte morte.
... .. .. ..
Le vent lacérait le ciel gris dégelé,
le vent soufflait dans la ville,
détruisait les impasses, les murs.
Mêlée à la fange, ne demeurait que la neige fondue
de la demi-saison."
Elena Gouro, in L'avant-garde russe, anthologie des poètes futuristes et acméistes par Serge Fauchereau, éditions du Murmure, Paris 2003.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire