"La terreur enflait en elle, les digues craquaient. Son destin se scellait. La terreur déborda. Non. Son destin était déjà scellé. Elle allait s'arracher pour toujours à sa première peau, Kurt lui avait retiré sa peau, on allait la dévêtir de sa peau, brûler pour toujours sa peau; elle allait émigrer sans retour, Kurt allait la jeter pantelante sur le pont d'un navire en partance pour l'au-delà, on allait lui donner un cuir de remplacement qu'elle enfilerait tant bien que mal, et elle devrait vivre là-bas, en Chine ou en Corée, ou à Sumatra ou dans le île Komodo, sous cette enveloppe amorphe, en se tenant coite jusqu'à sa mort. Une écume de plomb fondu avait recouvert tous ses paysages intérieurs. Elle allait quitter le monde. Le départ était fixé pour la fin de la semaine, dans trois jours, le bateau mouillait déjà dans le dock d'Alcântara, un paquebot de petite taille, au louche pavillon hollandais. Elle étouffait. Derrière elle, une plaine de cendres, et devant: rien. Aucune perspective. On n'appelle pas perspective celle qui consiste à se dégrader sous une fausse identité, à pourrir sous des latitudes invraisemblables, oubliée par ses amis comme par ses ennemis, oubliée par Kurt. Déguisée en épave des colonies et avide, jusqu'à l'ivresse ou la prostration, de connaître l'heure de la tombe."
Antoine Volodine, Lisbonne dernière marge, éditions de Minuit, 1990, Paris.
Photographie: Ulrike Meinhof à treize ans (ici).
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