dimanche 15 mars 2015

FRIGYES KARINTHY / Voyage autour de mon crâne


" Un jour, vers le 10 mars, à peu près- je prenais le thé au café central, place de l'université, à Budapest. J'étais assis à ma place habituelle, près de la fenêtre, d'où je voyais la Librairie Universitaire et une banque.(...) A ce moment précis, les trains partirent. Très exactement à sept heures dix, à une minute près, j'entendis le premier train.(...) ce n'est que lorsque le troisième train partit que je compris que j'étais victime d'une hallucination."


 Avec une telle ouverture, "Voyage autour de mon crâne" ne pouvait que prendre place au coeur du coeur de notre pile de livres préférés.... A l'opposé d'une promenade de santé, ce récit fiévreux (entendre plein d'acuité, de mordant et sans résidu complaisant) embarque son lecteur sans que ce dernier  puisse reprendre souffle ou pied, comme on voudra, avant les dernières pages et au terme d'une course de vitesse contre la mort... Loin , très loin dans les méandres angoissants d'un univers sinistre et tellement commun, paradoxal en ce qu'il est universellement partagé et toujours appréhendé dans un solipsisme absolu: la maladie. Celle qui tue, qui terrifie d'abord, qui s'abat sans laisser de perspectives, sinon infimes, lointaines, dans un avenir contrarié, infléchi irrémédiablement et possiblement obsolète. 


Le narrateur, qui est aussi l'auteur, est projeté  aux confins du monde des biens portants,  de ces bienheureux ignorants du sombre maëlstrom qui engloutit chaque malade, avant que son statut d'homme de lettres célèbre ne lui permette un déplacement en Suède,afin d' y supporter l'opération qui doit lui sauver la vie - pour peu de temps. 


 Il aura suffi qu'un train invisible - pardon, trois, passent près de l'auteur, pour déclencher en lui la conscience aigüe de sa maladie, et l'annonce officielle d'une tumeur au cerveau ne le surprendra pas, inscrite dans un réseau, ou plutôt un faisceau de signes allant du souvenir d'un de ses amis de jeunesse victime du même mal jusqu'aux inévitables symptômes et troubles de la vision obscurcissant tout.  Entre le moment où Karinthy s'imagine sa vie d'intellectuel aveugle, façon Borges, et celui où son opération sous la houlette d'un magicien suédois se décide, on ne quitte plus les vacillements affolés et lucides, pleins d'un humour grinçant, de son cerveau abimé, enregistrant tous les détails de ce nouveau réel, de ce nouveau monde ( celui des chambres blanches, du corps impotens, de la soumission à un autre ordre...) et concentré sur cette vie de l'instant, la seule qui compte désormais. 


 Je passerai sous silence les chapitres éprouvants, qu'une décence incontournable oblige à lire ( les mots versus la chair), dans lesquels l'auteur raconte en détail la trépanation sans anesthésie générale puis l'extraction de la tumeur de son cerveau. Je dirai seulement qu'aux côtés des réflexions de Susan Sontag sur "la maladie ( Sida et Cancer) comme métaphore", peu de pages peuvent honorablement prendre place.   Sidérante, cette plongée aux tréfonds de la peur de mourir et du désir d'en réchapper, en fait incontestablement partie. 



Frigyes Karinthy, Voyage autour de mon crâne, Viviane Hamy,1990, Paris.




 




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