samedi 30 avril 2011

Claude Cahun, Aveux non avenus (1919-1928).

"Tu t'es ému de quelques-unes de mes folies ( parfois des plus futiles), et cela au hasard, sans grand discernement.
Tu m'as reproché de m'être levée au milieu de la nuit pour regarder passer un train ( oui, comme les vaches!) probablement quelconque mais que je chargeais d'une présence chère... Tu as incriminé des regards (que toi seul as su voir), je ne sais quels contacts, et mon idolâtrie (ça, c'est la vengeance divine), et mon exagération verbale (honteuse, littéraire). Je la reconnais d'ailleurs, je te donne raison; mais j'ai l'ambition de vivre soumise à d'autres vérités que la vérité littérale. Simple accumulateur qui prend l'électricité nécessaire n'importe où il y a du courant -voilà ce que je suis. Voilà ce qu'il faut être. Mes passions me sont merveilleusement indifférentes (interchangeables selon la meilleure occasion, pour ainsi dire à volonté). 
Leur résultat prodigieux sur mon âme m'intéresse par-delà tout scrupule."

Claude Cahun, Aveux non avenus in Ecrits, Jean-Michel Place, 2002.

dimanche 3 avril 2011

Anna Akhmatova (bis).


"Il est autour des êtres une ligne secrète..."

Anna Akhmatova, La volée blanche, in L'églantier fleurit,  traduit par Marion Graf et José-Flore Tappy, La Dogana,  Genève, 2010.

Anna Akhmatova, Amedeo Modigliani.


"Ces remarques ne prétendent pas caractériser toute une époque ni définir la place qu'occupait Modigliani. Le Cubisme s'éployait. Les premiers avions hésitants tournaient auprès de la Tour Eiffel. Quelque part au loin la lueur de la première guerre mondiale simulait une aube. Sur ses hautes jambes d'éclaireur cachant dans son dos sa fusée meurtrière encore non inventée, le vingtième siècle s'approchait à pas de loup."

 De ces phrases limpides composées entre 1958 et 1964 et consacrées à l'hiver 1911, si semblables dans leur simplicité gracile au trait du peintre, s'élancent ombres et  silhouettes. 
 A Anna Akhmatova, il fut donné de vivre ce siècle long, douloureux, dévastateur. Pas un mot ici de l' époux fusillé, du fils déporté, seule la mise à sac de sa demeure de Tsarkoïe Selo,au début de la révolution et la disparition dans l'incendie de quinze dessins d'elle offerts par Modigliani...

 Au soir de sa vie, à la seule lueur de sa mémoire, la poétesse convoque, l'instant d'un souffle mais aussi nettes que les images du "Grand Muet" paroles - J'ai encore en mémoire ses mots: "sois bonne, sois douce!"-, impressions- "Il avait l'air d'étouffer partout"- et souvenirs de Modigliani- sa passion pour le département des antiquités égyptiennes du Louvre ou son goût pour les "bijoux (...) sauvages".
 Fragments qui se dégagent des ténèbres du passé, comme ses propres poèmes dissous dans le silence, détruits à la flamme d'une allumette du temps où elle était interdite. C'est à la mémoire de quelques ami(e)s, telle Lydia Tchoukovskaia, rappelons-le, que nous devons de connaître une grande partie de son oeuvre. 
 Dans ce texte poignant où se lit, dessous le portrait du peintre ami, la disparition d'une époque, d'un monde et d'une ville mystérieux ( J'adore cette errance nocturne au coeur du "Vieux Paris" lors de laquelle "Modi", égaré, avoue avoir oublié "qu'il y a une île au milieu."), passent furtivement Verlaine, Henri de Régnier et bientôt tout ce que la modernité compte de célébrités en ce début de siècle: Stravinski, Diaghilev, Picasso, Joyce...
 Pourtant beaucoup ignorent ce frère pudique et élégant,qui vit dans un dénuement extrême, "enserré dans un cercle de solitude".

"Vous êtes en moi comme une hantise" écrit Amadeo Modigliani. Longtemps encore, une fois le livre refermé, cela résonne en nous...

Anna Akhmatova, Amadeo Modigliani,Harpo &, Paris, 2011. Traduction de Christian Mouze.