"Oh la jolie voix, et que je pleurerais de plaisir à l'entendre..." écrivait Colette se souvenant de Sido.
Pour nous, nul besoin de pleurer: comme un dernier cadeau de Noël, une belle façon de clore l'année, les entretiens inédits de Marguerite Duras avec une jeune journaliste italienne, à la fin des années quatre-vingt. Ils étaient inexpliquablement restés dans l'ombre alors que les publications autour de la diva des lettres françaises n'ont cessé de submerger les tables des libraires...
Dans sa courte préface René de Ceccaty conte la redécouverte de ces "moments of being" d'une Duras confiante, sereine, moins poseuse ou minaudière que face à d'autres interlocuteurs, plus imposants ou fascinés. Loin d'évoquer son parcours dans une parole un peu raide, que figeraient parfois des formulations ou des silences emphatiques, souvent raillés, elle s'entretient, acceptant de répondre sans détours au questionnement respectueux et ferme qui est celui de Leopoldina Palotta. Certes, on peut trouver que la complicité est moindre si l'on compare aux livres issus des rencontres avec Xavière Gauthier ou Michelle Porte, mais l'interviewer n'est pas de la même génération... et elle s'obstine à maintenir le dialogue entre les travées de quelques repères biographiques, de quelques axes forts de l'oeuvre. L'altérité qui est la sienne - culturelle, linguistique- est probablement libératoire pour une Marguerite Duras déjà meurtrie, fatiguée, protégée des intrusions indélicates par Yann Andréa. En deux années, de 1987 à 1989, sont abordés sans détours, de manière très directe: la passion -centrale, première- le cinéma, Lol.V.Stein, l'écriture, l'Amant, la mère... et une fois encore, peut-être la dernière, se fait entendre la musique inimitable, singulière, d'une voix...
Extrait:
"...Ma vie est passée à travers ma mère. Elle était en moi jusqu'à l'obsession. Je serais morte enfant, je crois, si elle était morte. Je ne crois pas que je me sois remise, depuis le jour où, il y a si longtemps, nous nous sommes quittées.
Quel type de femme c'était?
Exubérante, folle, comme seules les mères savent l'être. Dans l'existence d'une personne, je crois, la mère est, dans l'absolu, la personne la plus étrange, imprévisible, insaisissable que l'on rencontre. (...)
Que voyez-vous aujourd'hui de votre mère?
Sa folie m'a marquée à jamais. Son pessimisme aussi. Elle vivait dans l'attente incessante d'une guerre, d'une catastrophe naturelle qui nous aurait anéantis, tous. Elle est parvenue à me laisser ce sentiment, fort, paysan, de l'intimité domestique, comme un bastion, un refuge qu'elle savait créer dans chacune de nos maisons.(...)
Vous aviez tout juste dix-huit ans quand vous êtes partie seule pour Paris.
J'ai compris que j'avais commis une erreur d'attendre toutes ces années, derrière une porte, que ma famille s'aperçoive de ma présence. Je voulais recommencer, prouver à ma mère que je pourrais m'en sortir. Est-ce qu'on ne fuit pas tous sa maison parce que la seule aventure possible est celle que notre mère a déjà prévue?"
La passion suspendue, entretiens de Marguerite Duras avec Leopoldina Pallotta della Torre, Seuil, janvier 2013.
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