mardi 11 septembre 2012

UNICA ZURN / Lettres imaginaires



Chez Ypsilon éditeur, sortait en 2011 quatre-vingt exemplaires d'un léger fascicule. D'apparence fragile, frêle jusque dans sa couverture de papier calque et son titre, cet opus méconnu de la ténébreuse Unica Zürn me fut offert tout récemment.
Lues et relues depuis les sept lettres qui constituent la correspondance ténue d'un homme et d'une femme, d'un monsieur à une dame. Elle est mariée, inaccessible, il la désire à lui tout seul, terriblement et jouit sans fin de son absence tout en lui promettant de la mettre à mort, de la mort qu'elle mérite: " Votre regard doit chavirer dans la vision ultime du meurtrier que vous avez toujours attendu."

Elle revendique d'abord sa passivité, son accueil de l'aventure amoureuse, sensible à son caractère chevaleresque. Belle dame sans merci.... "J'ai décidé que la vie ferait de moi ce qu'elle veut. Un peu lasse de tout, je reste passive. C'est une qualité, attirant des forces avec lesquelles je n'avais tenu compte, jusqu'alors, que dans mes représentations ou fantasmes, et je le remarque, émerveillée. Tant mieux! faire des plans je me l'interdis. Advienne que pourra: rien, vous ou la mort."

Avant la dérobade de la dernière lettre, fatale, qui laisse entendre la déraison et le débordement amoureux, pathétique, à moins qu'il ne s'agisse de manipulation et de cruauté.

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Triste existence que celle d'Unica Zürn: un douloureux divorce qui la prive de ses deux enfants, puis la vie aux côtés de Bellmer, auquel elle fournit le modèle de la Poupée désarticulée, les rechutes, enfin, dans la maladie, rendant nécessaires les séjours en H.P. C'est Henri Michaux, l'homme dont elle tombe amoureuse, qui lui offre crayons et cahiers pour s'exprimer, dans des dessins minutieux, gorgés d'arabesques, pas si éloignés des textes anagrammatiques- une pratique obsessionnelle d'Unica. Michaux, transfiguré en "homme-jasmin", devient une figure idéale d'un masculin secourable, à l'aura magique et bienfaisante, tandis que, dans sa vie réelle, Unica Zürn se remet entre les mains d'un tout autre compagnon.


A plusieurs reprises, les Lettres imaginaires font l'effet d'un miroir : " Vous êtes une des rares femmes que j'ai connues qui soit farouche, et repliée sur elle-même, et ne se donnant à connaître à un homme que si cela signifie un danger." Lucidité, aptitude à se dépeindre et à identifier dans une certaine mesure les contours  de sa relation avec Bellmer, le comparse de la vie réelle, l'Artiste dont le travail plastique a joué des tendances masochistes et de la fragilité d'Unica, au risque de la voir sombrer. "Ce que vous imaginez m'est devenu transparent" écrit l'homme dans la septième lettre... 
Que reste-t-il alors,en l'absence d'une protectrice opacité, si ce n'est la tentation de disparaître? Unica Zürn  passe à l'acte le 19 octobre de l'année 1970, en se défenestrant depuis l'appartement de Bellmer, quelques mois après lui avoir écrit une lettre de rupture, bien réelle.

"Je ne suis pas de ceux qui se satisfont de lettres ou de la photographie de l'être aimé. Je vous ai laissé, par politesse, imaginer des lettres que, soi-disant, je vous adressais. Maintenant vous ne savez que penser, vous voyez bien que les lettres que je vous envoyais ( comme vous l'imaginez) n'ont rien à voir avec moi. Elles vous ont peut-être aidée à garder en vie des chimères, mais je déclare solennellement - et quelque peu perturbé- que je ne suis pas l'auteur de ces lettres. Mes conversations et mes rencontres avec vous qui ont lieu, comme avant, dans l'espace vide, me suffisent. A partir de votre visage et de quelques mouvements de votre corps, que j'ai observés, je me fabrique, tout en me maintenant en cet état-principe de non-mélange avec vous, l'image de votre être, que vous-même ne connaissez pas mais qui existerait pour vous aussi si vous aviez le bonheur d'être chez moi. J'ai foi en mes méditations qui ressemblent à des recherches sérieuses. Depuis longtemps je ne me fie plus aux lettres, ni aux photographies et surtout pas aux conversations. Ce genre de documents est falsifié: on veut plaire ou déplaire. Je crois que je découvre davantage dans vos ongles, vos cheveux, dans ce qui passe inaperçu: votre visage et vos pieds -, que dans toute la correspondance que vous me proposez. Quand viendra le temps où je ne souhaiterai plus vous rencontrer? Je crois que nous avons atteint ce point en même temps."

Lettres imaginaires, traduction de Marc Payen, Ypsilon éditeur, Paris, 18 mars 2011.

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