mercredi 20 février 2013

ALEJANDRA PIZARNIK / Chercher



"Ce n'est pas un verbe mais un vertige. Ça n'indique pas une action. Ça ne veut pas dire je vais à la rencontre de quelqu'un mais je suis gisante parce que quelqu'un ne vient pas."



Alejandra Pizarnik, Cahier jaune, traduction de Jacques Ancet, éditions Ypsilon, Paris, 2012.

dimanche 17 février 2013

VIOLETTE LEDUC / La bâtarde



Attention ce livre est en lames de rasoir... Pas une page sans une phrase tendue et violente, bandée telle un arc hystérique de Louise Bourgeois.
 Autobiographique, avec son titre en forme de gifle, "La bâtarde" lance à la face du monde ce qui aurait dû rester  une tache intime, un secret: le trouble d'une origine. Secret si puissant qu'il vampirise toute tentative pour Violette Leduc d'exister en dehors de l'histoire de la mère ou toute tentative que pourrait faire sa mère de s'extraire de cette histoire en poursuivant une vie qui, par sa normalisation sociale, recouvrirait ce "décadrage" malheureux.

Vendu comme un roman d'initiation aux amours sapphiques, sulfureuses ( voir la couverture Folio...), on doit lire "La bâtarde" comme un roman de la mère - adorée, haïe d'abord de ressasser sa faute (avoir eu cette enfant avec un fils de famille tuberculeux qui ne l'a jamais reconnue), son fardeau, puis de s'être remariée, hérissée de ressentiment à l'égard de celle qui lui rappelle incessamment sa propre  bâtardise, elle qui est fille-mère et père-et-mère de son enfant.

 Autant l'avouer tout de suite: je n'ai pas encore achevé la lecture de "La bâtarde", affolée par sa dureté impitoyable, magnifique, renouvelée de page en page. Jamais Violette Leduc ne baisse la garde, ne s'autorise la compassion, la compréhension... Elle exige l'assassinat -je ne saurais expliquer pourquoi j'écris cela, mais c'est ainsi que je la lis... Cette femme écrit comme elle (se) jetterait des pierres, y compris lorsqu'elle raconte sa découverte,  à la faveur du pensionnat, de l'amour et de la sexualité. Là où la sensualité exercée pourrait apporter l'apaisement,  ce ne sont que corps qui luttent, qui se dévorent. Le seul plaisir qui satisfasse pleinement la narratrice, c'est (on le comprend très vite) celui qu'elle SE donne. L'autre sitôt aimé est absorbé, englouti ( Est-ce cela le cannibalisme? Je pose la question en écho aux notes de Kate Zambreno sur ce roman...) et Violette cherche manifestement une forme de régénération auprès de celles qui la séduisent. Pour elle qui fut l'amie de Jean Genet, qui ne cessa de se dire/vivre laide, étouffée par un amour coupable, non désirée, "reprochée"... écrire  est davantage qu'une revanche, une parthénogenèse qui ne se voudrait surtout pas libératoire...
"Mon cas n'est pas unique: j'ai peur de mourir et je suis navrée d'être au monde. je n'ai pas travaillé, je n'ai pas étudié. J'ai pleuré, j'ai crié. Les larmes et les cris m'ont pris beaucoup de temps. La torture du temps perdu dès que j'y réfléchis. Je ne peux pas réfléchir longtemps mais je peux me complaire sur une feuille de salade fanée où je n'ai que des regrets à remâcher. Le passé ne nourrit pas. Je m'en irai comme je suis arrivée. Intacte, chargée de mes défauts qui m'ont torturée. J'aurais voulu naître statue, je suis une limace sous mon fumier. Les vertus, les qualités, le courage, la méditation, la culture. Bras croisés, je me suis brisée à ces mots-là."

Ces mots-là, moi je voudrais les savoir par coeur...


Violette Leduc, La bâtarde, Gallimard, L'Imaginaire, 1964.Préface de Simone de Beauvoir.