vendredi 30 novembre 2012

DEZSO KOSZTOLANYI / Le cerf-volant d'or

http://www.leshommesapproximatifs.com/wp-content/uploads/2010/03/sarah-moon.1jpg1.jpg 


"Son chapeau de paille à larges bords ombrageait un visage ordinairement assombri par des cheveux bruns et des yeux profonds. Elle portait une robe de petite fille en baptiste et des souliers noirs à talons hauts, un peu usés. Elle ne souriait pas. Elle était sérieuse, très sérieuse.
Tibor contempla sa grande bouche ondoyante. Il la considéra longuement, comme si elle lui disait quelque chose- or elle restait silencieuse. Lui seul balbutiait, de temps à autre:
-Ma chérie...
Hilda permettait à ce mot, le seul que le jeune homme connût, d'inonder son visage.
Ce fut là toute leur conversation."

 Deszo Kosztolanyi, Le cerf-volant d'or, Viviane Hamy, 1993, traduction:Eva vingiano & Pina Martin. 
Photographie: Sarah Moon.

vendredi 23 novembre 2012

JUNKIE /

http://i85.photobucket.com/albums/k45/michelange/Burroughs.jpg 




"A l'origine, il s'agit d'un camelot, d'un chiffonnier qui cherche à acheter du métal, du bois ou des vêtements. Les toxicomanes new-yorkais, ayant compris que les ordures pouvaient rapporter de l'argent, parcouraient les tas d'ordures de la ville pour trouver du métal abandonné et gagner de l'argent en le vendant."


Martin Booth, Opium: a history; cité dans "Le terrain de jeu du diable", Nan Goldin, Phaidon.

lundi 19 novembre 2012

MOINS DE CENT PAGES... ET ALORS? (1)

Au départ ce post devait  constituer une proposition de lectures à emporter dans les valises d'été,  avec la double promesse de ne pas alourdir lesdites valises et de savourer quelques pages inoubliables, sur le principe qu'un grand livre n'est pas forcément un gros livre...Le temps a passé et voici que le hasard de vacances , automnales cette fois,  m'a fait redécouvrir quelques textes. Souvent peu chers, accessibles, peu cités ici ou là, pour tous ceux qui aiment être mis à l'épreuve d'une histoire, d'une écriture ou d'une voix. Pour vous et pour d'autres autour de vous, sur la foi de quelques pages/ lignes, voici les premiers...


Dostoïevski, Une femme douce. (éditions Ombres)

http://filmsdefrance.com/img/Une_femme_douce_01.jpg

On pourra m'opposer que Dostoïevski tient tout entier dans ses grands romans, trois d'entre eux au moins et que le film de Bresson, la tristesse lumineuse de Dominique Sanda, ont en quelque sorte recouvert ce texte. C'est pourtant un rare exemple d'hystérie masculine qui mérite attention! Odieux, égocentrique, manipulateur, le narrateur tente de façon pitoyable et finalement répugnante de se défaire de sa responsabilité dans le suicide de sa jeune épouse; mais le cadavre étendu sur la table veille à sa façon, et étend son ombre accablante sur cette sinistre logorrhée.  

Vladimir Nabokov, Bruits. (Editions 1001 nuits)
Il est des phrases en musique et en mots, qui semblent nous effleurer et laissent au contraire une empreinte tenace. Lâchées dans un texte frémissant comme une aile de papillon, auquel, aussitôt lu, on  retourne, quelques unes d'entre ces phrases sont dans cette nouvelle de 1912, longtemps inédite dans sa forme originale, intitulée Zvouki. Nabokov y réenchante un temps d'avant la révolution, au coeur d'un domaine russe, entre une aristocrate distante et un vieux moujik frustre...

"Chaque silence contient la promesse d'un secret. A beaucoup tu semblais secrète..."


Varlam Chalamov, Mes bibliothèques. (Editions Interférences)
Sur l'amour des livres, l'organisation d'une bibliothèque, peu de textes peuvent rivaliser avec le petit opus de Walter Benjamin; mais voilà, Chalamov a arraché chaque page qu'il a écrite à la terreur. Relégué dix-sept ans en Sibérie, l'auteur des récits de la Kolyma (le livre que je ne supporte pas d'offrir sans qu'il ne soit lu immédiatement. Ce que Chalamov a souffert d'un joug terrible, il faut le lire ou le laisser à d'autres.) fait l'aveu extrême de la nécessité des livres, salvatrice et douloureuse: "Je regrette de ne jamais avoir possédé ma propre bibliothèque".

Rosa Luxemburg, Lettres de prison. (éditions Berg international)
Les lettres données à lire dans ce petit volume sont toutes adressées à Sophie Liebknecht, épouse de Karl, l'autre fondateur de la ligue spartakiste. Toutes sont rédigées en prison et la dernière précède de trois mois seulement l'assassinat de Rosa Luxemburg en janvier 1919. Même si son engagement dans les luttes ouvrières et révolutionnaires affleure régulièrement, il n' est pas l'élément le plus remarquable de ces textes. Celle qu'on découvre ici est une femme pleine de curiosité, lectrice éclairée de Loti ou Hölderlin, amoureuse des bêtes, des paysages; une femme qui s'applique, malgré l'enfermement et la surveillance de ses geôliers, à dominer angoisse et désespoir en gardant intacte sa capacité à compatir et à aimer. Pourtant...
"Mon équilibre intérieur et ma joie de vivre sont malheureusement à la merci de la plus petite ombre qui passe, et j'éprouve alors des souffrances indicibles. Dans ces cas-là, ma réaction est simplement de me taire. Sans mentir, Sonitschka, je ne peux plus articuler un seul mot."

















 

dimanche 18 novembre 2012

D.H.LAWRENCE / Les filles du pasteur

 


Deux soeurs, isolées dans la campagne anglaise, étouffées par  l'aigreur de la maisonnée familiale, engagent leur vie sur des choix opposés. L'aînée  succombe au mirage d'une position sociale moins précaire; elle se livre à un époux malingre, un avorton répugnant qui la tient dans les serres d'un intellect inflexible et stérile. Coupée inexorablement de la possibilité d'un accomplissement sensuel -le seul qui vaille selon D.H.Lawrence, elle a choisi de renoncer à ce qui nous fait vivre...  
C'est à Louisa, la plus jeune, que Lawrence réserve le "feu sacré", la puissance vitale seule capable de conjurer le dépérissement qui s'annonce. Dans la bouche de cette jeune femme au physique plus ingrat que celui de son aînée, des paroles résonnent qui viennent de là où se forge le désir de vivre, d'aimer, d'exulter.  Pas très loin de ce que Susan Sontag, dans le premier volume de son journal, invoquait: affirmer son désir, ne pas tergiverser, hésiter, mais se construire sur ce que l'on veut, très fort, le plus fort possible.
Je n'ai pas encore achevé la lecture de "Daughters of the Vicar", il n'est pas difficile de deviner ce qu'il va advenir de Louisa et de l'homme qu'elle a élu, mais ce que j'avais envie de partager, ce soir, c'est l'évidente beauté du désir, cette force de vie.
"Ils ont tort; ils ont entièrement tort. Ils ont pulvérisé leur âme pour obtenir en échange ce qui n'a aucune valeur, et il n'y a pas un atome d'amour en eux. Et moi, je veux l'amour, je veux aimer, c'est mon droit. Je veux aimer l'homme que j'épouserai. Le reste m'est égal."
"They are wrong - they are all wrong. They have ground out their souls for what isn't worth anything, and there isn't a grain of love in them anywhere. And I will have love. They want us to deny it. They've never found it, so they want to say it doesn't exist. But I will have it. I will love - it is my birthright. I will love the man I marry - that is all I care about."

mardi 6 novembre 2012

ANA CRISTINA CESAR / gants de peau & autres poèmes


"Je suis très concentrée sur ma panique.
Du tréfonds prenant des mesures préventives. Ma fille, lis ça quand tu auras perdu tout espoir comme aujourd'hui. Tu es mon seul trésor. Tu  mords et cries et ne me laisses pas en paix, mais tu es mon seul trésor. Alors écoute-bien; prends ce sirop, viens dans mes bras, et repose-toi; dors, je veillerai sur toi et je n'ai pas peur; dors, dors.
Je suis grande, je reste éveillée très tard.

Je veux te dire la chambre immobile et tout ce qu'il y a dedans et pas de ville dehors ni réseaux de parenté. Ici j'ai des machines pour me distraire, une télé de chevet, des bandes magnétiques, des cartes
postales, des cahiers de différentes tailles, un coupe-ongles, deux pyrex et j'en passe. Rien dehors et ma tête parle toute seule, comme ça, dans un mouvement 
pendulaire: apparaître, disparaître. Retiens bien cette chambre étale avec machines, tête et pendule qui battent. Retiens-la bien. Ça comptera plus tard."


Ana Cristina César, Gants de peau & autres poèmes,  traduction de Michel Riaudel et Pauline Alphen, Chandeigne, 2005.