vendredi 30 mars 2012

Anaïs Nin, une lettre à Henry Miller.

Jeudi 04 août 1932

"Il m'arrive d'être effrayée par la façon dont tu m'as envahie.Parfois, je me sens étrangement exposée devant toi."

Photographie: Dirk BRAECKMAN.
Correspondance passionnée, Anaïs Nin/Henry Miller, Stock, Paris,  2009.

jeudi 22 mars 2012

Sylvia Plath, "Black rook in rainy weather".


On the stiff twig up there
hunches a wet black rook
Arranging and rearranging its feathers in the rain.
I do not expect a miracle
Or an accident

To set the sight on fire
In my eye, i sick 
no more in the desultory weather some design,
But let spotted leaves fall as they fall,
without ceremony, or portent.

Although, i admit, i desire,
Occasionally, some backtalk,
From the mute sky, i can't honestly complain:
A certain minor light may still
Leap incandescent

Out of the kitchen table or chair
As if a celestial burning took
Possession of the most obtuse objects now and then
Thus hallowing interval
Otherwise inconsequent
By bestowing largesse, honor,
One might say love. At any rate, i know walk
Wary ( for it could happen
Even in this dull, ruinous landscape); sceptical,
Yet politic; ignorant


Of whatever angel may choose to flare
Suddenly at my elbow. I only know that a rook
Orderig its black feathers can so shine
As to seize my senses, haul
My eyelids up, and grant
A brief respite from fear,
Of total neutrality. With luck,
Trekking stubborn through this season
of fatigue, i shall
path together a content


Of sorts. Miracles occur,
If you care to call those spasmodic
Tricks of radiance miracles. The wait's begun again,
The long wait for the angel.
For that rare, random descent.

Un des premiers poèmes de Sylvia Plath qu'on ne présente plus tant la légende a recouvert son travail, en quelque sorte, ce qui ne laisse pas d' exaspérer...

Un de ses poèmes les plus célèbres aussi, à la narrativité expressive, dont j'ai trouvé que l'enregistrement BBC donnait un écho intéressant. 

Une voix tendue, aux inflexions nettes, volontaires.... Ted Hugues,qu'elle venait alors d'épouser, avait intitulé son premier recueil, publié en 1957, "Hawk in the rain"; aucun doute, c'est bien d'une réponse qu'il s'agit, d'un rappel par Sylvia de son talent propre, qui augure déjà non vraiment la difficulté qu'aura Plath à se faire admettre  en poésie, mais les remous personnels, les troubles dont le rejaillissement sur sa santé sera tragique, et qui s'originaient dans  leur activité commune, duelle- jusqu'au point de rupture, celui d'où l'on ne peut revenir indemne.

lundi 19 mars 2012

George Perec, Penser/ Classer. (I)

                   2.De l'ordre

 "On finit toujours par essayer de mettre de l'ordre dans ses livres: c'est une opération éprouvante, déprimante, mais qui est susceptible de procurer des surprises agréables, comme de retrouver un livre que l'on avait oublié à force de ne plus le voir, et que, remettant au lendemain ce qu'on ne fera pas le jour même, on redévore enfin à plat ventre sur son lit.


2.1 Manières de ranger les livres

En ce qui me concerne, près des trois quarts de mes livres n'ont jamais été réellement classés.(...) Je les promène d'une pièce à l'autre, d'une étagère à l'autre, d'une pile à l'autre, et il m'arrive de passer trois heures à chercher un livre, sans le trouver mais en ayant parfois la satisfaction d'en découvrir six ou sept autres qui font tout aussi bien l'affaire.


2.5
Comme les bibliothécaires borgésiens de Babel qui cherchent le livre qui leur donnera la clé de tous les autres, nous oscillons entre l'illusion de l'achevé et le vertige de l'insaisissable. Au nom de l'achevé, nous voulons croire qu'un ordre unique existe qui nous permettrait d'accéder d'emblée au savoir; au nom de l'insaisissable, nous voulons penser que l'ordre et le désordre sont deux mêmes mots désignant le hasard.
Il se peut aussi que les deux soient des leurres, des trompe-l'oeil destinés à dissimuler l'usure des livres et des systèmes.
Entre les deux en tout cas il n'est pas mauvais que nos bibliothèques servent aussi de temps à autre de pense-bête, de repose-chat et de fourre-tout."


George Perec, Notes brèves sur l'art et la manière de ranger ses livres, in Penser/Classer, Textes du XXème siècle, Hachette, Paris,1985.






samedi 17 mars 2012

Carmen Laforet, Nada .


Que les jeunes filles se ressemblent, qu'elles soient de Valparaiso ou  d'ailleurs, et combien de déceptions, de désespoirs, leur sourire peut abriter... 
En 1944, à Barcelone, l'une d'entre elles devient l'héroïne d'un roman dont le titre, d'un nihilisme radical, écarte de ses deux syllabes claquantes  toute possibilité d'échappée-belle hors d'atteinte d'un réel sinistre.
Son auteure avait à peine vingt ans et ce premier roman, "Nada", écrit sur les décombres, a aussitôt  laissé à ses lecteurs " un goût de cendres" tant y sont prégnantes l'angoisse, l'asphyxie d'une génération par une autre, soutenue par la main de fer du franquisme.
Ce roman, je viens d'en achever une première lecture,convaincue d'y revenir bientôt,  happée par la nervosité et la poésie de ce texte, tenue de bout en bout par ce qu'il rappelle de la jeunesse et de son immense et déraisonnable désir de vivre, qu'elle paye de toute façon toujours trop cher; folle jeunesse qui scrute avec tant d'acuité ces adultes qui l'entourent et s'obstine si heureusement à leur survivre...

"Nada"... Un roman comme une nasse qui se referme sur le personnage d'Andréa, à peine débarquée au coeur de Barcelone, "Calle de Aribau". Il ne faudra pas plus d'une nuit à la jeune fille pour comprendre que les seuls liens qu'elle va trouver là ne seront qu'entraves et que la rue qu'elle dévalait, enfant, n'est plus qu'un cul-de-sac.
A vivre parmi les membres de sa famille tombée en démence, Andréa dépérit et, loin d'éprouver l'ivresse des premiers amours, la légèreté des moments d'abandon, ne connaît d'autres étourdissements  que ceux de la faim qui lui creuse le ventre.  Meurtrie par la violence au quotidien de ses proches, elle attend tout  de sa nouvelle vie. Or Barcelone n'est plus que mirage, ville des désirs ruinés comme le sont ses bâtisses, protégeant, au sein des demeures familiales, les bourreaux ordinaires arc-boutés sur d'hypocrites principes moraux, fondements d'un autoritarisme dévastateur.




Pour autopsier sans complaisance le corps familial devenu, à l'inverse de sa prétention protectrice, le lieu privilégié de l'expression des folies personnelles; pour dénoncer la détresse collective, le manque d'espoir, la dépression comme ravage, il fallait de la voix, du courage.Carmen Laforet ne manquait d'aucun des deux, elle qui préféra arrêter d'écrire, après trois romans seulement.
Elle nous laisse de terribles portraits, des figures d'effroi:  la tante Angustias,  ogresse hystérique, choisit le cloître pour échapper à la culpabilité d'avoir été la maîtresse, peut-être seulement en pensée, d'un homme qu'elle aurait aimé épouser autrefois; l'oncle Juan,violent, peintre raté, devenu ouvrier par nécessité, enrage d'être pris au double piège de son mariage et de sa relation masochiste avec son frère; celui-là, Roman, musicien doué et manipulateur est encore le plus pitoyable et le plus ambigu... capable de mettre en péril l'amitié de sa nièce avec la jeune Ena, en jouant avec d'autre secrets de famille... Reste que "les secrets les plus douloureux, les plus jalousement gardés sont peut-être des secrets de polichinelle pour ceux qui nous entourent. Tragédies stupides. Larmes inutiles. Voilà la vie".


"A quoi bon courir, en somme, si nous nous heurtons toujours à la borne de notre propre personnalité? Certains naissent pour vivre, d'autres pour peiner, d'autres pour regarder seulement. Moi je n'avais qu'un infime et vil rôle de spectatrice. Impossible d'en sortir. Impossible d'y échapper. L'angoisse, c'était pour moi la seule réalité de ces instants.
Le monde se mit à trembler derrière une douce brume grise qu'irisait le soleil. Et mon visage desséché recueillait avec plaisir les larmes que mes doigts écartaient avec rage. Je pleurai un bon moment, là, dans l'intimité que m'accordait l'indifférence de la rue, et il me sembla que mon âme se lavait peu à peu.
En réalité, ma peine de petite fille qui perd ses illusions ne méritait pas tant de frais. J'avais lu rapidement une page de ma vie qui ne valait pas la peine qu'on s'y attardât. Près de moi de plus grandes douleurs m'avaient laissée indifférente, voire railleuse.
Je courus presque d'un bout à l'autre de la rue Aribau, pour revenir à la maison. J'étais restée assise si longtemps, enfoncée dans mes pensées, que le ciel pâlissait. L'âme de la rue perçait le crépuscule. Les devantures s'allumaient en une file d'yeux jaunes ou blancs, qui clignaient au fond de leurs sombres orbites. Odeurs, tristesses, histoires montaient de ce pavé, jaillissaient des balcons, des portes de la rue Aribau. Le flux animé qui descendait de la calme et bourgeoise Diagonale s'y heurtait au flux du monde agité venu de la place de l'université. Mélange de vies, de qualités, de goûts. C'était ça la rue Aribau. Et moi je n'étais qu'un minuscule élément de plus qui s'y perdait.
J'arrivai à la maison: nulle invitation à une merveilleuse évasion n'allait m'en libérer. Je venais de mon premier bal auquel je n'avais pas dansé. J'allais, sans goût, avec le seul désir de me coucher. Devant mes yeux un peu endoloris s'alluma un réverbère, familier comme les traits d'un être cher. Devant la porte, il allongeait son bras noir."






Carmen Laforet, Nada, traduction par M.M. Peignot et M. Pomès, Editions Bartillat,2010, Paris.


Images: Sergio Larrain; Joan Colom.
 

mercredi 14 mars 2012

FOTO/GRAFICA: les livres fantômes d'Amérique latine.

  Rarement une exposition n'avait tant mis en évidence l'absence des objets dont elle venait de démontrer à quel point ils nous étaient nécessaires.... Rarement on avait éprouvé un tel état de frustration devant l'impossibilité de feuilleter, par devers soi, en toute intimité, quelques uns des quarante livres rares présentés au BAL jusqu'au 8 avril.
Bien sûr, on est resté longtemps, on a scruté les clichés, lu les textes qui accompagnent cette découverte d'un continent dont on connaissait et la densité littéraire et le tempérament éminemment photographique...  
 La photographie comme "miroir convexe" où se réfléchissent "notre époque, nos perspectives, nos modèles de l'épouvante"- oui, quelque chose de cet ordre s'est imposé dès la première salle, en résonance avec les poèmes du chilien Roberto Bolano, pour ne cesser de s'insinuer entre nous et les livres d'artistes, trois d'entre eux à tout le moins, exposés au sous-sol du BAL.

Entre la "projection holographique d'une femme" et les éclats de lumière magnétisée des photographies de Franco Fernell: une évidence. 


Hanté par la disparition des contours, par des silhouettes  spectrales qui se nichent dans de sombres interiores (" J'aimais photographier la manière dont les ombres se perdaient progressivement dans le noir le plus complet et la façon dont la lumière mourait."),Fotografias (1983)est littéralement un livre fantôme, dont la plupart des exemplaires ont disparu du fait de son auteur, au motif d'imperfections inacceptables dans l'impression. Cet auteur, c'est Fernell Franco, photographe des bordels de Colombie et de leurs jeunes prostituées qu'il transfigure en apparitions alanguies...

Ailleurs, portées par les mots magiques, -dont si peu nous est accessible - du poète  Roberto Piva, auxquels elles répondent étrangement, les photographies de Wesley Duke Lee: "Paranoia"(1963), édité en 1963, offre une déambulation hallucinée, nerveuse, et érotisée à travers "les crépuscules noyés" de Sao Paulo que n'aurait reniée ni Lautréamont ni Nerval, quand " toutes tes amours perdues te rendent visite à l'heure la plus sombre" dans la ville perturbée et que "(les) yeux (d'une femme) (deviennent) les cartes du cauchemar pur".

Au BAL, cette saison américaine, c'était comme si les photographes, pour beaucoup d'entre eux "joue contre joue avec la mort", avaient répondu à l'injonction du poète de  s'éloigner "des images de la douleur et du labyrinthe"...

...qu'ils ne pouvaient s'en défaire vraiment. Tel Sergio Larrain dans son livre El rectangulo en la mano (1963) dont le format et la conception modestes - un fascicule broché faisant alterner page vierge et photos en noir et blanc- renforcent délibérément la fragilité et la capacité d'émotion: s'attacher à la lumineuse captation de ce qui fait mystère (Deux fillettes? Une seule et son double projeté?), nous revoilà au coeur du principe photographique. Sergio Larrain, disparu au début de ce mois de Février, ne cachait pas son désir de "solidifier un monde de fantômes".


Toutes les citations en gras, excepté celle en italiques, proviennent du recueil de poèmes de:
Roberto Bolano, Les chiens romantiques, traduction Robert Amutio, Christian Bourgois, Paris, 2012.

jeudi 8 mars 2012

Harun Farocki, Gegen-Musik / Contre-chant.

 D'abord vidéo couleur d'une vingtaine de minutes produite par le studio Le Fresnoy de Tourcoing autour des images enregistrées par les mille deux-cent caméras de surveillance de la métropole lilloise, ce chant à l'envers a fait l'objet voici deux ans(*) d'une édition papier. 

 Huit pages de mots posés sur des images "faites" ou "glanées" sur le corps de la ville, "images sans caméraman"; huit pages  sur l'obligation faite aux corps de circuler - l'arrêt sur l'image "rend suspecte" toute nonchalance révélée- et surtout, l'envers du dispositif, là où l'on a cessé de scruter, parce qu'il y a tout intérêt "à réduire le travail du regard ou l'abolir"...  


De Vertov à Farocki, un déplacement , un détournement des images - insupportable, fascinant.


"Comment commencer?
Avant que le jour commence-
dans un laboratoire de sommeil
(...)
Pour Dziga Vertov, le jour commence avec la production d'images
Pour nous, (...)
Nous montrons le sommeil-
à partir de caméras déjà
dirigées vers les dormeurs
nous suivons les caméras à travers les canalisations de la ville
(...)
le réseau des artères de la ville "





 (*)Merci Michelle de la librairie Texture ( métro Laumière, Paris 19) pour votre travail de mise en valeur de la petite, voire micro édition, bien indépendante celle-là...


Contre-chant, Harun Farucki, traduit de l'allemand par Monique Rival, contrat maint, Toulouse, 2009. Deux euros trente...