mardi 27 décembre 2011

Roberto Bolano, L'hiver des lectrices.


"Pendant l'hiver, on dirait qu'elles seules ont le courage de mettre le nez dans les rue glacées. Je les vois dans les bars de Blanes, ou dans la gare, assises le long du Paseo Maritimo, seules ou avc leurs enfants, ou avec une amie silencieuse et, entre leurs mains, je découvre toujours un livre. Que lisent ces femmes? se demandait Enrique Vila-Matas, il y a quelques années.Ce qu'elles peuvent. Pas toujours de la bonne littérature ( mais qu'est-ce que la bonne littérature?), parfois des magazines, parfois les pires best-sellers. Lorsque je les vois marcher, emmitouflées, le visage rougi par le vent froid, je pense aux Russes qui firent la Révolution, endurèrent le stalinisme, qui fut pire que l'hiver, et le fascisme, qui fut pire que l'enfer, et elles furent toujours accompagnées d'un livre, alors que la chose logique à faire aurait été de se suicider. De fait, beaucoup de ces lectrices de l'hiver finirent par se suicider. Mais pas toutes. Il y a quelques jours, j'ai lu que Nadedja Jakovlevna Hazin, lectrice exceptionnelle, auteur de deux livres de mémoires, l'un d'eux intitulé Contre tout espoir, et femme du poète assassiné Ossip Mandelstam, avait participé, selon son plus récent biographe, à des relations triangulaires en compagnie de son mari et que la nouvelle avait causé stupeur et déception dans les rangs de ses admirateurs, qui la tenaient pour une sainte. Moi, au contraire, j'ai été heureux de l'apprendre. J'ai su qu'au coeur de l'hiver Nadedja et Ossip n'ont pas été pris dans la glace et cela a confirmé qu'ils avaient essayé au moins de lire tous les livres. Les saintes lectrices de l'hiver sont des femmes en chair et en os, et elles ne manquent pas d'audace. Certaines, c'est vrai, se sont suicidées. d'autres ont fait fuir l'infamie et ouvert de nouveau leurs livres, les livres mystérieux que lisent les femmes lorsqu'il fait froid et qu'on dirait que l'hiver ne finira jamais."


Roberto Bolano, Entre parenthèses, essais, articles et discours (1998-2003), Christian Bourgois, Paris, 2011.

Sjon, Le moindre des mondes.


Tous les livres de Sjon ont en français des titres d'une beauté inouïe, étrangement poétiques, dus pour une large part à son traducteur Eric Boury. Le texte qui se déroule, en courts passages, frêles et denses, ne déçoit pas: conte nordique rassemblant dans une architecture cristalline les éléments de la sauvagerie, du châtiment, de l'amour et de la magie...
Qu'y a-t-il dans ce roman dont l'univers est tout sauf familier qui fasse soudain que l'on ait le sentiment de découvrir quelque chose du monde et de soi - ce qui revient au même, je le sais bien...?
Construit comme un opéra, ramassé sur une dizaine de jours, "Le moindre des mondes" nous transporte très vite, depuis l'ouverture d'une chasse à la renarde dans la splendeur des montagnes d'Islande vers un hors temps légendaire, là où les personnes se nomment encore fils de "-sson" ou filles de "-dottir"... où les accidents rocheux sont la trace d'une présence de divinités premières, confondues avec les éléments.
Il y est question non pas pêle-mêle, mais tout au long d'un agencement implacable et maîtrisé ( c'est peut-être
une faiblesse du livre que cet épilogue sous forme de lettre, éclairant les liens familiaux qui unissaient Hafdis et Baldur, mais au final, ça passe...) d'un chasseur, d'une renarde, d'une jeune fille trisomique, d'un savant herboriste, de métamorphose et de glaces....
Un vaisseau hollandais, fantômatique, erre et dépose une jeune créature au destin terrible ( handicapée, elle est livrée à la prostitution à fond de cale puis, débarquée, enfermée dans un réduit) recueillie par le narrateur... des années plus tard, au prix d'une mystification assumée, il lui offre une mise en terre lunaire, délicate, comme elle le fut... Face à elle, la sombre silhouette, coléreuse et cruelle du pasteur Baldur "fils de l'ombre", qui ne cesse de traquer une rousse renarde, superbe animal et,pris dans les glaces, à la lueur d'une aurore boréale, l'ayant dépecée, il s'incarne, se métamorphose en elle...
"Le moindre des mondes" est de son propre aveu un "winterreise" mais sa tristesse irréelle l'empêche d'être poignant: les personnages y trouvent un salut qui en vaut bien un autre et mi-homme mi-bête,rejoignent un ordre naturel,lequel n'a cessé de les rappeler à lui..." une femme est décédée et un homme a disparu".
C'est tout, ou presque...


















Sjon, Le moindre des mondes, traduction de l'islandais par Eric Boury,Rivages poche, Paris, 2008.



mercredi 21 décembre 2011

Carson Mc Cullers, Noël en famille (1949).

"Au crépuscule, je me suis assise sur les marches du perron, excédée de plaisirs, écoeurée de nourriture et tombant de fatigue. Le garçon d'à côté dévalait la rue en patins à roulettes, dans son déguisement neuf d'Indien. Une petite fille virevoltait sur une trottinette à claquettes. Mon frère enflammait des allumettes japonaises. Noël était fini. J'ai songé à la monotonie du Temps futur, l'attrait des fêtes à venir, moins somptueuses, me laissant inconsolée, à l'année qui allait s'étirer jusqu'au prochain Noël- une éternité."

Carson Mc Cullers, Ecrivains, écriture et autres propos, Stock, 1998.

samedi 17 décembre 2011

Marilyn Monroe (I): Fragments.


  De la filmographie de Marilyn, je ne connais que quelques scènes , quelques photos de tournage, et, sur quatre films vus entièrement, je n'en ai revus que deux, les plus beaux sans doute: "The Misfits" et "Niagara", tandis que des deux autres ne subsistent encore que certaines scènes, une robe hallucinante ou était-ce une absence de robe?... un air fredonné et, surtout,le souvenir du cinéma de minuit et des heures  dérobées au sommeil sur le canapé du salon, en douce, rattrapées ensuite au fond des salles du lycée...
 Depuis sa parution, j'hésitais, incertaine... Coup de pub? Beau fétiche?
Un peu tout cela, sans doute, mais l'essentiel, outre la qualité du travail éditorial, la mise en valeur réussie de ce corpus inédit reste qu'à travers la possibilité de lire ces "Fragments", les éditeurs ont permis une rencontre: derrière les apparitions de l'actrice culte, omni-iconique, amusante et éminemment sexuelle se dessinait, dans un coin de l'image, comme une ombre portée, celle d'une femme hypersensible et douloureuse, pleine d'empathie -trop- et fragile, dépressive certainement. Certaines situations fictionnelles, médiatiques n'ont pas laissé place au doute. Est-ce là le secret du trouble délirant que suscite toujours cette actrice?... Marilyn n'a jamais su ne pas être entièrement là où on ( réalisateurs, compagnons, médias) l'exigeait d'elle ( cf: "Blonde", 800 pages, parfois languissantes,  où Joyce Carol Oates place dans la bouche de l'actrice toute sa difficulté à distancier) et pourtant en lisant ses textes elle apparaît, dans une grande solitude, en constant effort, luttant dans l'écart éprouvé avec sa persona de star. Véritable "work in progress" , quand il s'agit de devenir une autre femme, une autre actrice, plus assurée, plus performante, "meilleure"...
Car c'est - plusieurs mois après la lecture de ces textes, disparue l'émotion devant ces traces d'un moi intime - ce que j'ai retenu, gardé, précieusement: que cette femme planétairement adulée ait connu à ce point de douleur cette difficulté à vivre qui nous assaille tous un jour, et qu'elle ait consacré tant de son énergie,de son temps à une exigence profonde d'amélioration, de confrontation à ses doutes et ses désirs... Respect Marilyn, respect.
 
27 Août:
Je suis inquiète, nerveuse,
déconcentrée, instable-il y a quelques minutes, j'ai failli jeter une assiette en argent- dans un endroit sombre du plateau- mais je savais que je ne pouvais pas me permettre de lâcher je sentais vraiment en fait que je n'oserais pas le faire car je ne m'en tiendrais peut-être pas là. Juste avant, j'ai failli vomir tout mon déjeuner. Je suis fatiguée. Je cherche une façon de jouer ce rôle, ma vie entière me déprime depuis toujours- Comment puis-je incarner une fille aussi gaie, juvénile et pleine d'espoirs- Je me sers de ce dimanche de mes quatorze ans où j'étais tout cela mais - pourquoi ne puis-je m'en servir de façon plus ferme ma concentration vacille presque sans arrêt- quelque chose s'emballe en moi dans la direction opposée vers la plupart des jours dont je peux me souvenir. Je dois essayer de travailler et travailler encore sur ma concentration - en commençant peut-être par le plus simple.

Fragments: poèmes, écrits intimes, lettres, Marilyn Monroe, Seuil, Octobre 2010, Paris.

mercredi 30 novembre 2011

Mireille Havet, La Presqu'île (1916).



"C'est ce désir du monde
 qui m'hallucine!"

Mireille Havet, début du poème publié en 1916 dans la revue "La Presqu'île", Paris.

jeudi 24 novembre 2011

L'hiver approche...

  "C'est chose impressionnante, quand on y songe, que chaque être humain constitue pour tous les autres un secret, un mystère insondable. C'est chose impressionnante, quand on entre dans une grande cité, le soir, de se dire que chacune de ces maisons groupées dans l'ombre,  chacune des pièces qui la composent, renferme son propre secret, que chacun des coeurs qui battent dans ces cent mille poitrines est, par certaines de ses spéculations, un secret même pour le coeur qui en est le plus proche. 

  Il y a là un mystère redoutable qui participe de la mort même."

Charles Dickens, Un conte de deux villes, Paris, Gallimard, "Bibliothèque de la Pléïade", 1970, pages 983-984.

  Je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai acheté et lu la biographie de Dickens par J.P.Ohl ( Folio): elle reste très factuelle et assez répétitive; j'y ai pourtant glané ces paroles, quelques infos, et à tout prendre, l'envie de relire Dickens. A une période de l'année où la misère reconquiert une visibilité qu'on croyait d'un autre temps, ça ne peut pas faire de mal.... 
A l'heure où les vitrines se parent pour le grand déballage de Noël, où la nuit se pose sur les toits de Paris et nous permet d'entrevoir, à la lueur des lampes, silhouettes, décors, dont l'intimité nous échappe...

jeudi 10 novembre 2011

Qui est Ana Mendieta?

A cette question, le court récit graphique élaboré par Christine Redfern et Caro Caron ne souhaite pas vraiment répondre... tant il est soutenu par le désir d'inclure le travail et les accidents de la vie d'Ana Mendieta dans le contexte brûlant de la production artistique féminine et féministe des années soixante-dix. Tout au plus aura-t-on un rappel de l'histoire familiale de l'artiste, contrainte par ses parents de fuir Cuba avec sa soeur pour se réfugier aux Etats-unis, de ses premiers travaux et de ses rencontres plus ou moins fructueuses avec le milieu artistique new yorkais. Au coeur du livre, la mort violente d'Ana Mendieta, défenestrée à la suite d'une dispute conjugale avec l'artiste Carl André -pour ma part, un parfait inconnu. On entre là dans le véritable propos de Redfern et Caron: rappeler avec beaucoup de vigueur et de conviction  que les violences faites aux femmes ne restent pas seulement dans le champ du symbolique et lorsqu'elles se déplacent, se cumulent avec celles qui s'exercent sur leur corps, ne sont pas seulement le fait d'individus frustes, issus des classes populaires... 
Et les auteures de dérouler en arabesques rapides les "affaires" Burroughs, Pollock et Mailer, dans un désordre qui, je dois le dire, ne m'a pas convaincue. Tous ces récits sont mis sur le même plan et comme noyés, "dé- problématisés". Ce qui est désigné - à raison- comme insupportable, via ces exemples, c'est le statut supérieur et idéalisé de l'artiste mâle blanc auquel se sont heurtées toutes celles qui ont voulu exister en tant que créatrices, porteuses en propre de discours, d'expériences -d'une voix. Or, ce statut n'a été, finalement,  que légèrement mis à mal et reste le standard dominant. Quant aux violences perpétrées sur les femmes, l'omerta persiste, sauf quand il s'agit d'une célébrité quelconque ou bien qu'un "ailleurs, autrement" peut en porter la responsabilité, dégageant la nôtre du même coup.
Mais il serait injuste de minorer le propos de ce petit livre: l'énergie dégagée par le trait,rockn'roll, et jubilatoire ( Les deux auteures font gentiment leur fête à quelques membres de l'establishment artistique), les références nombreuses à cette histoire de l'art au féminin renouent avec un activisme qui fait écho, de manière soft, aux performances de Mendieta elle-même ( nue, le corps ensanglanté, basculé sur une table) dénonçant le viol d'une étudiante de son campus ou d'autres plasticiennes du body art telle Carole Schneemann. Enfin, une mention spéciale à "Personne d'autre", la préface de Lucy R. Lippard, incontournable dès qu'on veut travailler sur les femmes et l'art au vingtième siècle, aux côtés de Griselda Pollock, Laura Cottingham ou Laura Nochlin, entre autres.

N.B. La galerie Lelong a accompagné son exposition récente d'oeuvres de Mendieta ( septembre 2011) d'une publication; hormis ce texte monographique, je ne vois rien de récent sur cette artiste en français, seul un article dans un Art Press d'il y a dix ans ( merci D. et P.E.) et je ne peux m'empêcher de signaler que le fabuleux catalogue de l'exposition marseillaise "L'art au corps" ne contient ni contribution sur Mendieta, ni aucune mention iconographique de son travail...

"Nous voulons voir Carl Andre à côté d'Ana Mendieta, Lucian Freud à côté d'Alice Neel, Mary Cassat à côté de Degas, Sonia Delaunay à côté de Robert Delaunay, et décider ensuite qui nous préférons. Nous voulons voir Suzanne Valadon à côté d'Utrillo - qu'elle a formé, bon sang! c'était son filsNous voulons avoir une vue d'ensemble avant de juger, et nous ne voulons pas les regarder en pensant "c'était la seule femme". Nous formons la moitié de la population, occupons la moitié de l'espace. Et même si nous ne produisions que des courtepointes et de la dentelle, accrochons-les au mur et décidons nous-mêmes quelle oeuvre est la plus belle."

-Judy Chicago

Qui est Ana Mendieta?, Christine Redfern et Caro Caron, éditions du remue-ménage, Québec, 2011.

jeudi 3 novembre 2011

Grisélidis Réal, Mémoires de l'inachevé.



Depuis cinq ans les éditions Verticales donnent à lire une des plus belles proses de la francophonie, l'oeuvre d'une suissesse au prénom d'ingénue de conte de fées,Grisélidis, dont les photographies laissent sourdre dans le regard, le visage, un je ne sais quoi d'ineffablement altier et rayonnant - dû à ses origines tziganes ? Grisélidis a été belle, cultivée, prostituée et elle fut l'auteur de textes à la puissance sidérante, avant de mourir lentement d'un cancer en 2005.


Deux ans déjà  que le journal tenu pendant son emprisonnement à Munich en 1963 -"Suis-je encore vivante?"- nous avait bouleversé tant il faisait écho à d'autres oeuvres qui nous ont marqué autour de la prison et des femmes (Jane E. Atwood, bien sûr). Alors même qu'elle s'inquiétait de la possibilité, un jour, d'être lue- le devenir écrivain ne tient souvent qu'à ce tremblement-là- son récit libérait une voix portée par la colère et le désir de (sur)vivre au-delà des murs, et, malgré son désespoir, déjà tendue vers les autres, ses "soeurs" de peines écrasées sous le poids de leurs déveines et trop souvent, de leur misère.

Plus tard -mais publié en premier, il inaugura la carrière littéraire de Grisélidis Réal- le récit autobiographique "Le noir est une couleur" déployait les aléas, les affres de ses  amours crues et désolées avec son amant schizophrène, Bill, puis la rencontre magnifique de Rodwell, le soldat américain dont elle célèbre la couleur. De là tout se précipite: l'Allemagne, la prostitution, la "rayonnante pauvreté" des campements gitans...

Putain enragée, putain amoureuse,fervente, putain et mère de quatre enfants qu'elle a aimés, putain et écrivaine, lectrice affamée ( Akhmatova, Puchkine, Beauvoir)... Griselidis Réal n'a eu de cesse de se jouer, par nécessité et souvent avec jubilation des représentations puritaines qui encodent et figent ce qui a été pour elle une profession dont elle a fait et revendiqué le choix.
Constamment en lutte contre les préjugés, les infections atrocement douloureuses ( plus tard ce sera le cancer, lisez "Les Sphinx"), pour obtenir la garde de ses enfants ou bien un logement, pour sa liberté propre et celle de tous ceux qui vivent à la marge (travestis, gitans...)ou en sont privés,   au bord du découragement, de l'épuisement, elle confie à l'ami cher Maurice Chappaz:" Je suis si heureuse (...) d'être faible, livrée à mes instincts que je sens puissants (.... J'aime tous les démons qui me possèdent."

Et de solliciter dès 1977 sa ré-inscription à Genève "parmi les courtisanes (...) et ceci pour toujours."

Car pour celle qui refusa la psychanalyse au motif que "le soi n'est pas si important que ce qu'on en fait", l'amour reste au coeur de l'existence, sous toutes ses formes, celui qui se tarife, et celui qui engage tout entier. Rien n'a su entamer l'aptitude à l'amour, à la souffrance d'amour -"Hélas, je suis de celles qui sont blessées longtemps"- de Griselidis Réal. Vibrante et caressante avec tous "ses" hommes, elle rappellera jusqu'à sa fin "(qu') il faut être heureux comme des fous d'exister".


"Une immense angoisse m'étrangle. On verra, il faut espérer que tout n'est pas foutu, que je n'ai pas crevé tout à fait en vain sur ce texte, qu'il y a un espoir, une lueur. J'ai peut-être encore plus souffert à l'écrire qu'à le vivre. C'est terrible quand on a pour tout terrain des sables mouvants, qu'on n'a jamais rien possédé, ni  langage, ni pensée."


Grisélidis Réal, Mémoires de l'inachevé, lettres, éditions Verticales, Paris, Octobre 2011.

jeudi 27 octobre 2011

Catherine Pozzi, Journal.



 " 22 juillet 1920.

Vivre. Travailler, consentir à moi-même. Atteindre, en allant au bout de ma raison, le point extrême où, peut-être, vous m'attendez."



Journal, 1913-1934, Catherine Pozzi, éditions Claire Paulhan, Paris, 1997; Phébus Libretto, Paris, 2005.

samedi 3 septembre 2011

Graciela Iturbide, 1979-1989.


Sans commentaires superflus...  
A défaut d'aller en Arles découvrir les tirages, il nous reste à lire le beau texte -non traduit en français mais présenté en bilingue anglais-espagnol- d' Elena Poniatowska, intitulé "l'homme au doux pénis". Poniatowska est par ailleurs l'auteur d'un "roman" sur la Ravissante ( voir nos libellés), il n'y a pas vraiment de surprise...

A feuilleter donc,  un magnifique album, dont le format allongé rend justice au travail de Graciela Iturbide et au regard généreux qu'elle porte sur les femmes de Juchitan.

Juchitan de las mujeres, 1979-1989, Textes de E. Poniatowska et M.Bellatim, RM Verlag, Barcelone, 2010.

jeudi 1 septembre 2011

By Marguerite D. ...


Les boulettes Pojardsky soi-disant.

Mélangez du veau haché avec du pain trempé dans du lait, de la kacha, de la farine de sarrasin (peu), un ou deux oeufs entiers, de l'estragon.
Le reste, je ne l'ai pas noté. Je l'ai noté seulement pour le mot kacha, je ne sais pas ce que c'est.


L'omelette vietnamienne.

C'est difficile. Il faut un feu très doux et du temps. le secret c'est la patience. Il faut faire le plat dans une poêle avec dessous un diffuseur.
(...)
Il m'est arrivé de rater ce plat et je n'ai pas compris pourquoi. Les oeufs devaient avoir trop cuit. Il m'est arrivé aussi de le réussir au-delà de ce que j'avais cru possible, je ne sais pas non plus pourquoi.

Duras, La cuisine de Marguerite, éditions Benoît Jacquot, 1999.

mardi 19 juillet 2011

Cristina Campo, Le tigre absence.

 L'oeuvre de Cristina Campo alias Vittoria Guerrini est rare:  en tout et pour tout deux recueils de textes en prose dont un posthume  déjà évoqué ici - Les Impardonnables- et La noix d'or; des lettres - à son amie "Mitia"- et quelques poèmes, réunis par l'excellent éditeur Arfuyen, en 1996, déjà... dans cette même collection qui accueille Emily Dickinson et Katherine Mansfield, deux des auteurs que Campo avait traduites, d'évidence. Les poèmes rassemblés sous ce titre sont précieux, tristes, enchantés par les passions de Cristina Campo pour- en vrac- la lithurgie byzantine, la philosophe Simone Weil, Rome... 

Elle-même "prise entre la fascination du silence et celle de l'expression", ce sont les mots de sa traductrice Monique Baccelli,  passionnée et fidèle à peu de personnes ( elle fera publier des extraits du journal d'une amie morte pendant un bombardement, Anna Cavalotti),dont ses parents avec lesquels elle vivra jusqu'à leur disparition, ou son amant  Ellemire Zolla.... Cristina Campo a su fixer dans une langue diamantine et comme réticente parfois des instants de grâce, ceux d'avant une disparition.
 D'une exigence dont on ne peut douter qu'elle dut être épuisante et douloureuse,   surgissent tout à la fois une fraternité sombre - "Poiché tutti viviamo de stelle spente / Puisque tous nous vivons d'étoiles éteintes -, une dramaturgie aérienne - "Un anno... Trattevena la sua stella il cielo dell'avento. Sulla bocca senza febbre o paura la mia mano ti disegnava, oscura, una parola / Une année... Le ciel de l'Avent retenait son étoile. Sur la bouche sans fièvre ni peur ma main te traçait, obscure, une parole.", et une étrange solitude - "De mondi-e io vengo dall'altro / Deux mondes- et moi je viens de l'autre".


 Cristina Campo, Le Tigre Absence, poèmes traduits et présentés par Monique Baccelli, Arfuyen, Paris, 1996.

mercredi 29 juin 2011

Clarice Lispector, lettres.


"Respecte-toi plus que tu ne respectes les autres, respecte tes exigences, respecte même ce qu'il y a de mauvais en toi - respecte surtout ce que tu imagines être mauvais en toi- pour l'amour de Dieu, ne cherche pas à faire de toi une personne parfaite - ne copie pas une personne idéale, copie toi toi-même - c'est le seul moyen de vivre. (...) Prends pour toi ce qui t'appartient, et ce qui t'appartient c'est tout ce que ta vie exige. Ca semble une morale amorale. Mais ce qui est véritablement immoral c'est d'avoir démissionné de soi."

Clarice Lispector, lettre à Tania Kaufmann, 06 janvier 1948, Berne, in Le seul moyen de vivre, lettres, Rivages, 2010.

jeudi 16 juin 2011

Arlette Farge, La chambre à deux lits et le cordonnier de Tel-Aviv.

Beaucoup de mes livres préférés sur l'acte photographique et sur ses traces appartiennent à la collection " Fiction &Cie" longtemps dirigée par Denis Roche ( Il n'y a pas de hasard...)et confiée ensuite à Bernard Comment: Sur la photographie de Susan Sontag; La dénivelée, d'Hubert Damisch ou encore le Journal d'Alix Cléo Roubaud. Parmi eux, je compte cet ouvrage, paru en 2000, et dont l'auteur, spécialiste du XVIIIème siècle, lâche comme un aveu qu'il "est construit autour du passage." En huit stations autour d'une dizaine de photographies nous sommes conduits à regarder des images et en deçà d'elles . Un passé non photographié mais bien là, en présence, sourd et traverse chaque paysage capté: cours d'eau, affiches lacérées au coeur de la ville, routes désertes, chambre, atelier d'artisan...autant d'espaces où se logent trajectoires, fictions, "moments of being"( V.Woolf). 

   " Nous avons besoin de l'histoire pour vivre et pour agir, et non point pour nous détourner nonchalamment de la vie et de l'action." (Nietzsche)

   Arlette Farge aurait pu ouvrir son livre ainsi... Quel autre souci,en effet, pour cette historienne du sensible (Elle travaille autant sur l'archive et son tempo particulier que sur les voix ou les infimes et d'autant plus précieux écrits retrouvés sur les corps de ceux qui savaient si peu écrire...), que de mettre en lumière les irrégularités, les aspérités du passé transmis souvent de façon fragmentée, pour que nous reprenions ensemble, au présent, notre histoire?

   De ses référents, de ses accompagnements dans cette tâche exigeante , Arlette Farge ne fait pas mystère: Barthes, Foucault, De Certeau, Bourdieu ou encore Rancière... Au détour d'une phrase citée, d'une expression, ils font le lien, en creux, entre ce va-et-vient d'une image à des "souvenirs impossibles"  et une écriture de l'Histoire qui prendrait en compte, au plus près des êtres humains,"singuliers", " les décalages et les ajustements" qui sont les leurs et les nôtres.

"Silhouettes défaillantes ou sublimes" rencontrées tant au détour d'une boîte cochère qu'en feuilletant un album ou en circulant dans un lieu d'exposition, les corps anonymes capturés par Lewis Hine - Dockers faisant la sieste, vers 1922- ou par Dorothea Lange - Mère et enfants, Tuletecke, 1939- font écho profondément à ces noms qui l'ont échappé belle, sauvegardés uniquement à cause du désordre auquel ils ont été associés, un jour . Ainsi, d'une couverture "telle une larme" abandonnée sur le sol irakien après la guerre ( S.Ristelhueber, Fait, 1992) à l'errance des soldats déserteurs ou à l'abandon des petits enfants au XVIIIème siècle; d'une sieste qui dérobe des corps abimés par un travail harassant vers les corps blessés décrits par Sébastien Mercier - Tableau de Paris-, Arlette Farge officie et passe quelque chose de notre histoire.

  Ces inconnus qui ont vécu il y a si longtemps ne sont pas que des "fantômes", un mot qui court souvent le long de ces pages... Ils sont nommés, et il nous est dit, fut-ce fugacement, ce qu'ils ont traversé et combien leur précarité, leur détresse nous a aussi constitués: Marguerite Bouquin, Jacques Gaillard, Anne Labovilliat qui a égaré son mari dans la rue Saint Marcel à Paris, Marthe Le Capre, en fuite parce que sa famille l'a enfermée quatre ans pour un égarement amoureux... Il a fallu patience et générosité pour exhumer ces bouts de leur histoire et au sens photographique,  rendre sensible ces vies "en avalanche".

Arlette Farge, La chambre à deux lits et le cordonnier de Tel- Aviv,Fiction & cie,Seuil, Paris,  janvier 2000.





lundi 30 mai 2011

Victoria Ocampo, Le rameau de Salzbourg.

  On connaissait les correspondances  avec Caillois ou Drieu, mais il semblerait que Victoria Ocampo, moins célèbre en France que sa soeur cadette Silvina - laquelle bénéficie du double rayonnement de son mariage avec Bioy Casares et de l'amitié de Borges- ait trouvé le temps, outre la fondation de la prestigieuse revue SUR, d'écrire une autobiographie dont quelques pans, peu à peu, sont offerts à la publication. Ce " rameau de Salzbourg" au titre stendhalien en diable n'est pas le moindre, double histoire d'un amour,ardent, et d'une (re)conquête de soi, nécessaire, envers/contre tous...

  D'une enfance privilégiée au coeur  d'une grande famille argentine, cette aînée de six filles conserve l'image d'une "jeunesse sous cloche" sans liberté, non sans amour. Et d'avouer à propos de ses parents:" Les faire souffrir me paniquait physiquement."

  Quatre mois seulement après un mariage au goût de désastre, malgré des dehors mondains et cosmopolites, elle croise Julian Martinez, un avocat, cousin de son époux. "Ce soir-là (premiers jours d'Avril), je montai dans ma chambre et regardai longuement ma bouche pour essayer de deviner ce qui avait retenu son attention." Ensuite? Rien que de très banal - les rendez-vous clandestins, les retrouvailles à la sauvette dans des taxis, l'angoisse d'être épiés, dénoncés- et de cruel- les lettres et les coups de fil anonymes, le chantage de son époux... Pendant quatorze années.

 Minée de l'intérieur par leur jalousie réciproque et par la lourde chappe du secret-"la consigne du silence sur tout"-, cette passion amoureuse a constitué pour Victoria une expérience des limites: "il me semblait que ma vie pendait à un fil." " Ces forces déchaînées en moi et par moi menaçaient de me disloquer si je ne les transformais pas en énergie constructive (secourable)."


Seuls recours contre la souffrance, la générosité de J.: " Ma maison est la tienne, comment veux-tu que je te le prouve? C'était si vrai que, deux ans plus tard, il acheta un terrain avenue des Incas et me demanda de dessiner sur un papier comment je voulais que fût sa maison. Elle fut construite et, pour chaque chose, je dus donner mon accord." 

  Mais avant tout, la lecture -de Proust, Dante, bientôt Tagore et Ortega y Gasset- et, bien sûr, l'écriture.
L'écriture comme rétablissement... Victoria Ocampo n'est certes pas la première à y avoir pensé, mais, clairement, elle nous a laissé dans ce texte le récit dense et douloureux d'un cheminement "vers la joie"... et ce n'est pas rien lorsqu'on est "désespérée de solitude dans une passion partagée et satisfaite. Désespérée d'amour."


Victoria Ocampo,Le rameau de Salzbourg, traduit de l'espagnol par André Gabastou, Bartillat éditeur, Paris, 2008.




dimanche 15 mai 2011

Jeanette Winterson, The art of fiction (1997).

"En réalité, ce sont les livres qui ont les premiers créé ces poches de liberté, dont je n'avais pas autrement fait l'expérience. Je les vois comme des talismans, comme des objets sacrés. Je les vois comme ce qui va me protéger, je suppose, qui va me sauver de choses que je ressens comme menaçantes. Je pense toujours cela; cela ne change pas. Cela ne change pas, le fait d'avoir de l'argent, du succès. Et donc, dès le tout début, si je souffrais pour une raison ou pour une autre, je prenais un livre- c'était très difficile pour moi d'en acheter quand j'étais petite- et je partais dans les collines, et c'est ainsi que je calmais ma souffrance. C'est toujours le cas, pour moi. Quoi qu'il m'arrive,si j'ai du mal à y faire face, ou si je ne peux pas y faire face du tout, alors je prends un livre, peut-être quelque chose comme Quatre Quatuors, et je pars toute seule- je préfère de loin faire ça plutôt que de parler à quelqu'un- et je lis, et cela devient un baume,un onguent, de manière très réelle. Pour moi, les mots sont des choses, des choses vivantes. Pour moi, elles travaillent bien plus puissamment que toute autre méthode et, j'imagine, cela continuera jusqu'à ma mort."



Jeanette Winterson, The art of fiction, n°150, 1997, in Paris Review, anthologie volume II, Christian Bourgois, Paris, 2011.

samedi 14 mai 2011

Erri de Luca, Le jour avant le bonheur.


   J'ai acheté "Le jour avant le bonheur" sur la foi d'un mot étrange, biscornu. "Pastepatane". En fait, le nom d'un plat pauvre,rugueux, un plat pour "caler" l'estomac dont j'avais fini par me persuader que j'avais dû l'inventer...

    Derrière ce mot-là: mon enfance, mon père et ses récits d'une existence fruste sur la plage, à vivre de la pêche à la traîne,dans une économie de gestes et de mots, dans une grande liberté aussi, avant que le progrès ne contraigne les familles pauvres de pêcheurs, pour la plupart des immigrés italiens, à une vie plus misérable, entre les murs... Ce qu'en vérité je n'ai jamais connu, nul besoin: le récit m'en suffit tant il est juste que "le napolitain est un roman, il fait ouvrir grandes les oreilles, et les yeux aussi." "Tu dis quelque chose et on te croit". Quoi de plus normal pour la langue d'une ville au nom de sirène?...


   Hors de la librairie, j'ai feuilleté le livre. Impossible de retrouver le mot. Il avait disparu. Effacé. Et moi, happée par ce seul hasard, j'ai renoué avec un auteur découvert et lu avidement tant qu'il publiait chez Rivages des livres aux titres énigmatiques. Depuis "Trois chevaux"- un des livres que j'ai le plus offert autour de moi- et "Essais de réponse", aux pages lumineuses, je m'étais détournée.

Je suis une lectrice contradictoire: j'ai souvent lu pour "écarter les murs",et les livres m'ont parfois évité de me sentir étranglée. Mais  je lis aussi, de plus en plus peut-être, pour me retrouver, à la recherche d'une identité dont les contours incertains se  renforceraient des mots de  quelques autres...


   Parmi eux Erri de Luca me touche particulièrement en ce qu'il m'évoque un monde à la fois familier et disparu. Ce lecteur assidu de l'Ancien Testament pèse chaque mot, chaque syllabe d'un dialecte napolitain qui, rugueux et enchanteur,  délivre les clefs d'un itinéraire, celui du personnage principal, mais peut-être bien aussi celui de tout homme. Ainsi d'une ligne qui oeuvre tout au long du récit et qui, remontée à la surface du texte nous rappelle:
"T'aggia'mpara e t'aggia perdere." Je dois t'apprendre et je dois te perdre. Entre deux, un enfant devient un homme. Un de ceux-là qui parlent droit, qui agissent droit- c'est la même chose.

   Comme souvent chez Erri de Luca, "Le jour d'avant le bonheur" explore des traces personnelles: enfants roués de coups, mourant de la brutalité des pères dans la Naples d'après-guerre, cette ville fauve; livres précieux dans lesquels "(la) tête apprenait à puiser la lumière"; gestes de la pêche, silencieuse et dense; et toujours, le désir puissant d'apprendre et la reconnaissance: "Il y avait une générosité civique dans l'école publique, gratuite, qui permettait à un garçon comme moi d'apprendre." "ses récits devenaient mes souvenirs. je reconnaissais d'où je venais (...) Il m'avait transmis une appartenance."


"Je cherche cet endroit et cette fenêtre depuis un an. Je voulais me rappeler ce que je voyais. Et en fait, je me suis rappelé ce que je n'avais jamais entendu, mon nom dit par toi."


"Entre tous les manques de mon enfance, j'étais resté attaché au plus fantastique, un baiser d'Anna. Ce qui revient à une enfance, une famille, ne m'a pas manqué. Je m'en suis passé, comme beaucoup dans l'après guerre. Aucune mélancolie, plutôt la liberté de décider du temps de mes journées, sans montre au poignet. (...) De toute cette enfance, j'ai choisi le manque de la petite fille aux vitres.
Quand elle avait disparu de là, la vie s'était rétrécie comme une petite cage."

Erri de Luca, Le jour avant le bonheur, traduit par Danièle Valin, Gallimard, 2010.

samedi 30 avril 2011

Claude Cahun, Aveux non avenus (1919-1928).

"Tu t'es ému de quelques-unes de mes folies ( parfois des plus futiles), et cela au hasard, sans grand discernement.
Tu m'as reproché de m'être levée au milieu de la nuit pour regarder passer un train ( oui, comme les vaches!) probablement quelconque mais que je chargeais d'une présence chère... Tu as incriminé des regards (que toi seul as su voir), je ne sais quels contacts, et mon idolâtrie (ça, c'est la vengeance divine), et mon exagération verbale (honteuse, littéraire). Je la reconnais d'ailleurs, je te donne raison; mais j'ai l'ambition de vivre soumise à d'autres vérités que la vérité littérale. Simple accumulateur qui prend l'électricité nécessaire n'importe où il y a du courant -voilà ce que je suis. Voilà ce qu'il faut être. Mes passions me sont merveilleusement indifférentes (interchangeables selon la meilleure occasion, pour ainsi dire à volonté). 
Leur résultat prodigieux sur mon âme m'intéresse par-delà tout scrupule."

Claude Cahun, Aveux non avenus in Ecrits, Jean-Michel Place, 2002.

dimanche 3 avril 2011

Anna Akhmatova (bis).


"Il est autour des êtres une ligne secrète..."

Anna Akhmatova, La volée blanche, in L'églantier fleurit,  traduit par Marion Graf et José-Flore Tappy, La Dogana,  Genève, 2010.

Anna Akhmatova, Amedeo Modigliani.


"Ces remarques ne prétendent pas caractériser toute une époque ni définir la place qu'occupait Modigliani. Le Cubisme s'éployait. Les premiers avions hésitants tournaient auprès de la Tour Eiffel. Quelque part au loin la lueur de la première guerre mondiale simulait une aube. Sur ses hautes jambes d'éclaireur cachant dans son dos sa fusée meurtrière encore non inventée, le vingtième siècle s'approchait à pas de loup."

 De ces phrases limpides composées entre 1958 et 1964 et consacrées à l'hiver 1911, si semblables dans leur simplicité gracile au trait du peintre, s'élancent ombres et  silhouettes. 
 A Anna Akhmatova, il fut donné de vivre ce siècle long, douloureux, dévastateur. Pas un mot ici de l' époux fusillé, du fils déporté, seule la mise à sac de sa demeure de Tsarkoïe Selo,au début de la révolution et la disparition dans l'incendie de quinze dessins d'elle offerts par Modigliani...

 Au soir de sa vie, à la seule lueur de sa mémoire, la poétesse convoque, l'instant d'un souffle mais aussi nettes que les images du "Grand Muet" paroles - J'ai encore en mémoire ses mots: "sois bonne, sois douce!"-, impressions- "Il avait l'air d'étouffer partout"- et souvenirs de Modigliani- sa passion pour le département des antiquités égyptiennes du Louvre ou son goût pour les "bijoux (...) sauvages".
 Fragments qui se dégagent des ténèbres du passé, comme ses propres poèmes dissous dans le silence, détruits à la flamme d'une allumette du temps où elle était interdite. C'est à la mémoire de quelques ami(e)s, telle Lydia Tchoukovskaia, rappelons-le, que nous devons de connaître une grande partie de son oeuvre. 
 Dans ce texte poignant où se lit, dessous le portrait du peintre ami, la disparition d'une époque, d'un monde et d'une ville mystérieux ( J'adore cette errance nocturne au coeur du "Vieux Paris" lors de laquelle "Modi", égaré, avoue avoir oublié "qu'il y a une île au milieu."), passent furtivement Verlaine, Henri de Régnier et bientôt tout ce que la modernité compte de célébrités en ce début de siècle: Stravinski, Diaghilev, Picasso, Joyce...
 Pourtant beaucoup ignorent ce frère pudique et élégant,qui vit dans un dénuement extrême, "enserré dans un cercle de solitude".

"Vous êtes en moi comme une hantise" écrit Amadeo Modigliani. Longtemps encore, une fois le livre refermé, cela résonne en nous...

Anna Akhmatova, Amadeo Modigliani,Harpo &, Paris, 2011. Traduction de Christian Mouze. 



 

mardi 15 mars 2011

Kobayashi Issa (1763-1827)

68.
Les blanches deutzies la nuit
éclairent
jusqu'à la chambre

171.*
Ce monde de rosée
est un monde de rosée
et pourtant et pourtant...

210.
Seul je suis mon chemin
j'écris sur un mur
soir d'automne

Kobayashi Issa, Ora ga haru / Mon année de printemps (1819), Cécile Defaut éditions, 2006.

* Sa fille Sato, âgée de deux ans, vient de succomber à la variole.

samedi 5 mars 2011

Dix introuvables...

 Il est une pratique à laquelle je m'adonne avec une constance parfois inquiétante... la confection de listes.  Celles qui me procurent une grande satisfaction ont à voir, ce n'est pas une surprise,  avec la lecture et l'acquisition de livres: ceux que je lis, ceux que j' achète, les titres découverts chez des amis - à l'instar de Leonard Michaels les livres aperçus chez les autres me semblent irrésistibles...- et ceux à rechercher sans faillir... 
 De mars 2010 à Mars 2011, j'ai scrupuleusement tenté de me procurer certains ouvrages introuvables... En voici dix parmi lesquels certains ont rejoint les piles familières... en désordre, pour le plaisir...


Carnet de bal d'une courtisane, Griselidis Real, Verticales, collection Minimales, 2005.


Ceci est en quelque sorte un testament.(...) La vie, c'est-à-dire son bord ultime, m'a rattrapée, en un dernier défi, peut-être pour avoir trop vécu. Impressionnant carnet de rendez-vous où les pratiques, les façons, les particularités de chaque client de G.R. dite Solange, sont collectées implacablement. Ce qui est révélé ici de la prostitution comme Art, Science laisse étourdi et muet- sauf si l'on cherche à bien comprendre! Sont adjoints six textes pour enclore trente ans de métier dans un petit livre noir courageusement réédité...et indisponible. A faire circuler donc... Merci A.

Lettres à Felice, Kafka, Gallimard, La Pléïade,vol.IV, 1989.

Tu m'as écrit un jour que tu voudrais être assise auprès de moi tandis que je travaille; figure-toi, dans ces conditions, je ne pourrais pas travailler (...). Car écrire signifie s'ouvrir jusqu'à la démesure (...). C'est pourquoi on n'est jamais assez seul quand on écrit, c'est pourquoi, lorsqu'on écrit, il n'y a jamais assez de silence autour de vous, la nuit est encore trop peu la nuit.


Ariel, Sylvia Plath, Editions des Femmes, traduction de Laure Vernière, 1978.
La première édition en français du recueil qui a fait de Sylvia Plath un poète culte. Certes, la composition -choix et ordre- de l'ensemble revient à Ted Hughes et a depuis, été contestée... J'aimerais pouvoir dire que la maquette est belle... mais voilà, c'est du strict fétichisme...


Journaux, Adèle Hugo, Minard, 1968-1984.
Il est des bouquinistes dont l'antre regorge de trésors et à des prix incroyables... mais si... J'en connais qui se rendraient à Bruxelles, place du Jeu de Balle, au coeur du quartier populaire des Marolles, pour sonner chez le propriétaire  et pénétrer dans une librairie d'occasion bien nommée, L'Imaginaire... Je n'ose dévoiler le prix des trois volumes de ce journal de la "folle" fille de notre Victor national, quant à mes autres trouvailles.. Gageons qu'on en reparlera bientôt.
 
Une enfance américaine, Annie Dillard, Christian Bourgois, 1990.
Une autobiographie lumineuse,  par l'auteur du magnétique roman L'amour des Maytree...
En 1955, j'avais dix ans, les lectures de mon père lui montèrent à la tête. (...)
Les enfants de dix ans se réveillent et s'aperçoivent qu'ils sont ici-bas, ils découvrent qu'ils y sont depuis un certain temps; est-ce triste? Ils se réveillent comme des somnambules en marche (...) in medias res, entourés de personnes et d'objets familiers, capables de faire mille choses. Ils connaissent leur quartier, ils savent lire et écrire, ils maîtrisent quelques bons vieux mystères et pourtant, ils ont l'impression qu'ils viennent juste de débarquer, de converger avec leur propre corps, de sortir d'une transe, de s'insérer dans une vie étrangement familière qui est en branle depuis longtemps. (...)
Comme n'importe quel enfant, je me coulai en moi-même à la perfection, comme une plongeuse rencontre son reflet sur la piscine.



Mon Pouchkine, Marina Tsvetaeva, Clémence Hiver éditeur, 1987.
A Corn dans le Lot, quelqu'un n'a pas aimé lire ce texte. Il s'en est débarrassé aux puces. Nous passions par là...
Noire et blanche, sans nulle autre couleur, la chambre de ma mère; noire et blanche, la fenêtre: la neige contre les branches de ces arbustes, et ce tableau "Le Duel"- du noir contre du blanc, où sur la neige blanche on accomplit une chose noire, une chose éternelle et noire, où la foule, le noir tout noir, assassine- le poète.
Pouchkine fut mon premier poète, et mon premier poète, on l'a assassiné. 

Le jardin près de la mer, H(ilda) D(oolittle), La Différence, collection Orphée, 1993.


Tout commence pour moi avec la réédition de "Pour l'amour de Freud" en 2010; rapidement, je lis d'autres titres en français, sauf ce recueil de poèmes épuisé... Heureusement des stocks de la collection Orphée restent disponibles chez quelques soldeurs parisiens. Voilà.


Les impardonnables, Cristina Campo, Gallimard, collection L'arpenteur, 1992.
Parce que lire, pour Vittoria Guerrini alias Cristina Campo  c'est chercher à comprendre dans quel sens un esprit se meut; parce que, bien entendu, je lui ai emprunté, en la traduisant, la double interrogation en tête de SONTAG & I; parce que son portrait de Djuna Barnes dans La noix d'or est un des rares et beaux textes consacrés (et traduits) à cette autre grande dame des lettres du vingtième siècle- sans aucun doute.





Birthday, Dorothea Tanning, Christian Bourgois, 1989. 
C'est une histoire de femmes, celles de Max Ernst... Après Leonora Carrington et Peggy Guggenheim, entre autres, Dorothea Tanning, peintre surréaliste, a convoqué ses souvenirs de leur vie ensemble... Un texte repris plus tardivement, augmenté mais sans la photographie de couverture... Quelle erreur!










Le regard trouble,précédé des Lettres d'Oskar Kokoschka à Hermine Moos, Claude Jamain, éditions L'Improviste, 2006.
Les douze lettres du peintre-écrivain sont "les pages les plus folles que l'on ait jamais lues dans la correspondance d'un artiste" (Mario Praz)... Il commande une poupée devant figurer Alma Malher, l'amante perdue et adorée; elle exécute un monstrueux mannequin. Cette poupée méconnue inaugure bien sûr une série de tentatives modernes allant de Bellmer à Cindy Sherman, et illustre l'esthétique de la décomposition à l'oeuvre dans la Vienne des années 20.


















mardi 1 mars 2011

Leonora Carrington, En bas.


  Comment introduire ce récit halluciné et méticuleux de la crise psychique vécue par Leonora Carrington alors que son amant, Max Ernst, était arrêté et déporté pour la deuxième fois dans un camp du Sud de la France? Au moment même où elle s'arrachait à leur havre de Saint-Martin d'Ardèche  pour entrer de plein fouet dans la débâcle et découvrir une Espagne terre de cauchemar.

 "Le mieux: ne pas commencer, s'approcher par où l'on peut." (Julio Cortàzar)

 De l'auteur elle-même que retenir, sinon que "jeune fille Ravissante", elle s'affranchit tôt de son milieu familial pour s'engager dans une carrière de peintre et d'écrivain. Leonora fut en effet présentée à la cour du roi George , un cliché photographique en a gardé trace qui figure dans le numéro 4 de la revue VVV. Ce fut la première publication de Down Below,en 1944. D'une réception donnée en son honneur au Ritz, reste un conte macabre et hilarant, La débutante, dans lequel il est question d'une jeune fille, d'une hyène malodorante, d'un masque de peau humaine et de dévoration... Seule femme surréaliste à figurer dans l'Anthologie de l'humour noir du pape Breton, "la mariée du vent" se dépouilla de sa maison d'Ardèche et de tous les objets qu'elle contenait, à l'exception d'une valise en cuir. Sur un rectangle de métal, un seul mot: "Révélation".

 Introuvable dans son édition originale de 1945 en français - saluons au passage la belle collection d'Henri Parisot, "L'âge d'or", chez Flammarion- tout autant que dans sa réédition par Eric Losfeld en 1973, En bas est un texte d'une cinquantaine de pages, accompagnées d'une étrange carte manuscrite. Pour le distinguer de la cohorte de récits plongeant au coeur du désordre psychique et de son corollaire, l'enfermement asilaire, il faut savoir les circonstances de son élaboration: trois ans exactement séparent les faits de leur relation par écrit, encouragée par Jeanne Mégnen, l'épouse du psychiatre Pierre Mabille, auteur d'une anthologie au titre séduisant, Le miroir du merveilleux. C'est à lui que s'offre le récit, "le plus clairvoyant", le médecin idéal que, malade, Leonora Carrington n'aura pas rencontré.

 Car En bas, ou Abajo ou Down below, qu'on l'appelle comme on voudra, est un texte exorcisme, urgent - il se déploie sur cinq journées- qui force le lecteur à descendre, carte en mains, avec Leonora Carrington dont le projet n'est rien moins que de "voyager de l'autre côté de cette frontière en (se) conservant lucide". Alors seulement, tels des spectres effrayants, se succèdent les étapes implacables de son "expérience" : le corps qui se coince, l'exaltation irrépressible, les épisodes délirants, la toute puissance du père et de ses alter-ego - Van Ghent le nazi aux pouvoirs hypnotiques et les deux docteurs Moarles, père et fils-, l'arrivée à Santander "livrée (...) à l'état de cadavre", les piqûres de Cardiazol, la catalepsie, l'entente magique avec les animaux, encore le Cardiazol, et la peur, la solitude...

 Une seule lueur, un seul désir. Rejoindre le pavillon numéro sept, au centre de la carte tracée à main levée, et pour cause... un énorme soleil noir encordé à un corps de femme. S'y abritent une chambre, une bibliothèque...Là, en bas...

23 août 1943
 C'était le premier moment d'identification avec le monde hors de mon corps. J'étais la voiture. La voiture se coinçait à cause de moi, parce que j'étais moi-même coincée entre Saint-Martin et l'Espagne. J'étais horrifiée de ma puissance.(...)

24 août 1943
 Quand je m'asseyais à une table avec d'autres personnes dans le salon de l'hôtel Roma, j'entendais vibrer les êtres aussi clairement que des voix;(...) il n'était plus nécessaire de traduire les bruits, les contacts physiques ou les sensations en termes rationnels ou en mots. Je comprenais chaque langage dans son domaine particulier: bruits, sensations, couleurs, formes, etc... Chacun d'eux trouvait sa correspondance jumelle en moi et me donnait une réponse parfaite.(...) Je m'adorais à ce moment-là, je m'adorais parce que je me voyais complète - j'étais tout, tout était moi. (...)

25 août 1943
 Une nouvelle époque commence alors avec la journée la plus terrible et la plus noire de ma vie entière. Comment pourrai-je écrire cela quand j'ai peur, seulement, d'y penser? Je suis terriblement angoissée et pourtant je ne peux pas continuer à vivre seule avec ce souvenir... Je sais que lorsque je l'aurai écrit, je serai délivrée. Vous devez savoir, ou bien je serai persécutée jusqu'à la fin de mon existence. Mais pourrai-je exprimer l'horreur d'une telle journée par de simples paroles? (...)


26 août 1943
 J'étais moi-même le poulain blanc. (...)


27 août 1943
 Je lui parlai de mon pouvoir sur les animaux. Il me répondit sans ironie:"Le pouvoir sur les animaux est chose naturelle chez une personne aussi sensible que vous..." Et j'appris ainsi que le Cardiazol était une simple piqûre et non un effet de l'hypnotisme, que Don Luis n'était pas un sorcier mais un bandit, que Covadonga, l'Egypte, Amachu, la Chine étaient des pavillons où l'on soignait les fous et qu'il m'en fallait sortir au plus vite. Il désocculta le mystère qui m'enveloppait (...).


Leonora Carrington, En bas, Eric Losfeld, collection "le désordre", n°20, 1973.

samedi 12 février 2011

Ingeborg Bachmann, "Cela pourrait être lourd de sens".


OMBRES ROSES OMBRES

Sous un ciel étranger
des ombres des roses
des ombres
sur une terre étrangère
entre des roses et des ombres
dans une eau étrangère
mon ombre

PAS DE DELICATESSES

(...)
Ma part, il faut qu'elle se perde.

Ingeborg Bachmann, Poèmes, Actes Sud, 1989.

mardi 8 février 2011

Joan Didion, "Je serai le témoin de cette femme".

Ce fut d'abord sa composition en cahiers, évoquant irrésistiblement une écriture liée à l'intime, qui m'a incitée à engager la lecture de  ce roman de Joan Didion, depuis longtemps relégué au coeur d'une pile de vieux 10/18 défraîchis. 
"Prière en commun" ou face à face bergmanien, il est d'emblée question de deux femmes, dont l'une enquête sur l'autre, afin de se constituer comme son "témoin" idéal.


 Possible héroïne de Jean Rhys ou d'Anna Kavan, Charlotte Douglas semble un fantôme, un de ces êtres qui rêvent leur vie. Absente aux autres, elle a "quitté tout le monde". Ses deux mariages? des échecs; sa fille unique? disparue, traquée par le F.B.I. pour sa responsabilité dans un acte de terrorisme; quant à un nouvel enfant, il ne faut pas y compter:atteint d'une malformation, il ne vit que quelques jours. Exit la deuxième chance... D'un désastre l'autre, Charlotte va, elle flotte au gré des vols internationaux, dans le "no man's land" des terminaux d'aéroports, dans des hôtels désertés... Et le monde de se rappeler à elle sur le mode unique de la désolation, ou de la catastrophe:

"Elle était l'unique cliente de l'hôtel, construit juste avant les troubles, très vaste avec ses balcons où l'averse crépitait. Ses vêtements moisissaient. Le beurre dans les récipients de porcelaine verdissait en une matinée, au dîner une fine couche de poussière volcanique le recouvrait, dernières cendres d'une éruption qui s'était produite deux ans auparavant. L'un des attentats avait eu lieu sur la terrasse du restaurant et, chaque après-midi, un jeune garçon de cuisine frottait sans conviction une tache brune persistante."

 Au bord de l'effondrement, Charlotte n'aura cessé d'éprouver l'opacité irréductible d'autrui fût-il un amour, un enfant. Elle n'a rien compris, elle est juste celle qui "avait tort". Seule, de l'autre côté du miroir, son observatrice, Grace,  pose un regard sensible sur l'épingle de sûreté qui fronce une jupe coûteuse, ou le fermoir cassé d'un sac à six cents dollars, "une sorte de délabrement (...) qui suggérait une usure secrète de l'esprit, ou une blessure, ou l'abandon".

Car Charlotte devient, cahier après cahier, l'horizon dépressif de Grace, elle-même en proie à la solitude et au cancer. A l'aube d'une révolution, tandis qu' "un linceul de fumée s'accroche au-dessus de Boca Grande", un aveu:" ici, je ne suis pas à ma place, mais il est trop tard pour en changer."

"Il y avait eu certes ces jours, ces semaines, voire ces mois, pendant lesquels elle avait été séparée de tous ceux qu'elle connaissait par une grisaille si dense que même l'éclat de sa propre fille dans sa propre maison lui était une source d'irritation, un reproche qu'il lui fallait éviter aux heures des repas et dans les escaliers.(...)Au cours de telles périodes l'effroi habituel s'emparait de Charlotte quand elle était contrainte de se rendre à l'école de Marine et d'entendre les enfants célébrer toutes les choses belles et brillantes, toutes les créatures grandes et petites.
Elle se bouchait les oreilles.
Engourdie, elle regardait Marine de très loin.
Elle se réfugiait dans les taches quotidiennes. Ses journées devenaient de simples chiffres.
Charlotte ne savait pas que c'était là une réaction "ordinaire". Il ne lui venait pas à l'esprit que quelqu'un d'autre puisse souffrir de ce qu'elle appelait "vivre à l'écart".
Et, par suite de cette ignorance, elle ne luttait pas. Elle adoptait une attitude négative. Elle ne voulait pas y réfléchir. Après la disparition de Marine elle vécut plusieurs semaines sans presque sortir de son lit. La disparition avait effacé jusqu'aux chiffres des jours. Je crois n'avoir jamais connu personne qui fût, comme elle, capable de vivre une existence qui échappait à tout réexamen." 


Joan Didion, Un livre de raison (a book of common prayer), 10/18, 1985; Robert Laffont, 2010.