mardi 22 janvier 2013

SYLVIA PLATH / La cloche de détresse (The bell jar)

"C'était un été étrange et étouffant.L'été où ils ont électrocuté les Rosenberg.Je deviens idiote quand il y a des exécutions. L'idée de l'électrocution me rend malade, et les journaux ne parlaient que de ça. La "Une" en caractères gros comme des boules de Loto me sautait aux yeux à chaque carrefour, à chauqe bouche de métro fleurant le renfermé et les cacahuètes. Cela ne me concernait pas du tout, mais je ne pouvais m'empêcher de me demander quel effet cela fait de brûler vivant tout le long de ses nerfs."

 On n'y échappera pas... Il y a cinquante ans que le seul roman de Sylvia Plath, "The Bell jar" a été édité. Quelques semaines plus tard la jeune poétesse mettait un terme à sa vie assombrie par la séparation subie d'avec le volage Ted Hugues. Exténuée par un hiver rigoureux, passé à batailler quotidiennement, seule, avec ses deux jeunes enfants, Sylvia Plath n'a cessé d'écrire. Tôt, chaque matin de chaque jour passé dans cette maison qu'elle louait - le poète Yeats y avait vécu; elle y avait lu un signe. De cette douloureuse matrice ont jailli les poèmes du cycle d'Ariel,  composés, réécrits, dans le froid et en secret. Tandis que  ce roman, largement autobiographique, paraissait et  consacrait Plath comme une jeune romancière douée. 
"La cloche de détresse" fut, lit-on ici ou là, le livre d'une génération d'Anglo-saxonnes. Ce fut aussi mon sésame pour l'oeuvre du poète orgueilleux, de la femme fragile  et passionnément amoureuse que fut Sylvia Plath:  poèmes , journaux, pièce de théâtre et correspondance avec sa mère ( dont seul un volume est disponible en français aux éditions des femmes, traduit par Sylvie Durastandi) éclairent la lecture du roman d'Esther Grenwood, où se reconnaît une Sylvia Plath jeune, oppressée et bouillonnante de révolte dans une Amérique trop bien pensante. Une Sylvia Plath bouleversée par l'intolérance et la suspicion; frappée elle-même par la dépression, le dérèglement: internée à la demande de sa mère, elle subit des séances d'électrochocs - comme une réponse personnelle à l'exécution des époux Rosenberg à l'ouverture de "la cloche de détresse". Cet épisode, je le relie malgré moi à ce que j'ai appris de la soeur de Nan Goldin, Barbara, internée au motif d'une sexualité trop exubérante... et suicidée à dix-huit ans sur une voie ferrée. Dans une famille sans aspérités, très propriétaire-middle-class-d'un-joli-pavillon-bordé-d'une-pelouse-soignée... L'installation et le livre consacrés par la photographe à sa soeur tout comme le roman de Sylvia Plath nous parlent sans détours d'une époque, de la violence des désirs  quels qu'ils soient -aimer, être aimé, devenir le plus grand poète des Etats-unis... de la grande soif de vivre de l'adolescence, qu'abîment parfois irrémédiablement les préjugés ou l'aveuglement.

Sylvia Plath, La cloche de détresse, Gallimard, L'imaginaire.

dimanche 20 janvier 2013

JEAN RHYS / Souriez, s'il vous plaît




"Je suis retournée m'asseoir dans mon fauteuil. J'ai regardé l'arbre. Il y avait de petits paquets, accrochés à toutes les branches, dans des papiers d'or et d'argent. je crois qu'il y avait aussi des ampoules, des boules lumineuses, enfin tout, absolument tout, jusqu'à une immense étoile d'argent plantée au sommet. J'ai regardé l'arbre  longtemps. J'ai essayé d'imaginer une soirée, avec des gens autour de moi, beaucoup de gens qui rient, qui parlent, qui sont heureux. Mais à quoi bon? Jamais cela n'arrivera, je le sais au plus profond de moi. Jamais je ne ferai partie de quoi que ce soit. Jamais je n'appartiendrai à quoi que ce soit, où que ce soit, je le sais, et toute ma vie se passera ainsi, à essayer d'appartenir, à essayer en vain. Il y a toujours quelque chose qui tourne mal. Je suis une étrangère. Je le serai toute ma vie. Ça m'est un peu égal, au fond. Peut-être même est-ce ma faute? Je ne parviens pas à aller au delà, à réfléchir au delà,  pour y arriver. Et de toute façon, me disais-je, ce sont des gens que je n'aime pas. Des gens capables de haïr - et j'ignore la haine- et ce qu'ils aiment, je ne l'aime pas. Je le refuse. Je refuse leurs boules lumineuses, leurs petits paquets dans des papiers d'or et d'argent, leur étoile. Même leur étoile, plantée au sommet, je la refuse. Je ne sais pas ce que je veux. Et si je le savais, je serais incapable de le dire, car je ne parle pas leur langage, et jamais je ne le parlerai.
(...)
A partir de là c'est le blanc total. Je me souviens seulement de m'être retrouvée dans ma chambre. L'arbre avait disparu. Sur la table, à sa place, il y avait une bouteille de gin intacte. Ai-je déposé l'arbre à l'hôpital? Ai-je demandé au chauffeur de taxi s'il avait des enfants? Lui ai-je donné l'arbre pour ses enfants? Lui ai-je demandé de trouver un endroit ouvert ce jour-là où je puisse acheter du gin? Cette bouteille était-elle là, dans mon placard, depuis longtemps? Cette dernière hypothèse est peu vraisemblable, car je n'aime pas le gin. Quoi qu'il en soit, il y a cette bouteille, je suis assise, et je la regarde. Je me dis: je vais attendre que le propriétaire s'en aille. Les locataires du premier étage sont partis de bonne heure. Bientôt la maison sera vide. La rue aussi. Assise dans mon fauteuil, je fume cigarette sur cigarette. Sans hâte. J'ai mon temps, tout mon temps. Car je sais enfin ce que je veux. Je veux le néant."

Jean Rhys, Souriez, s'il vous plaît, autobiographie inachevée, Denoël, 1980.






mardi 15 janvier 2013

JOAN DIDION / Le bleu de la nuit

 Je ne partage avec Joan Didion que le hasard d'une date de naissance, un cinq décembre jeté par dessus décennies et continents. Sa route est on ne peut plus éloignée de la mienne; pourtant, peu d'écritures ces dernières années m'ont davantage envoûtée ou émue que le "Livre de raison" ou "Maria avec ou sans rien".

 Voici donc "Blue nights" traduit en français, son récit tout en retenue de la perte de sa fille, et de tous ceux qui gravitaient autour de sa famille disparue. Voici donc le texte lancinant d'une survivante au bord de sa propre finitude. Poignant, dépouillé.
Sans pathos. Ni sentimentalisme. 
Impeccable.

 De Joan Didion, auteur tard découverte, peu traduite jusqu'au succès de "l'année de la pensée magique",  je sais quelques informations: le couple formé avec son mari John G. Dunne, leur aisance matérielle - ces "privilèges" qui en sont si peu; le talent d'observation et d'écriture tôt reconnu et exploité, diversement, dans la fiction, le reportage ou l'écriture de scénarios ( "Panique à Needle Park" ). Je sais aussi son goût pour les interzones, pour ces femmes tristes en tailleurs Chanel acidulés, aux journées vaines, occupées seulement de cocktails, de cigarettes et de déplacements continentaux en avion.

Mais... je ne ne bois jamais de cocktails au bord d'une piscine, je ne mettrai probablement jamais les pieds en Californie ni à Honolulu, j'écris à l'ombre d'un pseudonyme... Ceux que je chéris vivent autour de moi, me frôlent joyeusement chaque jour que nous partageons... Alors je le demande, pourquoi suis-je si touchée chaque fois que je lis Didion? Et je ne veux pas parler de ce principe selon lequel la représentation du malheur éprouvé par une autre, nous ferait mesurer notre chance... Non et non. Insuffisant.  Lire "Le Bleu de la nuit", c'est partager une expérience de la douleur, et, indubitablement, faire l'expérience d'une intelligence et d'une absence de complaisance rares.
 
Pudeur, dignité, pour dire la perte de son enfant, pour dire aussi,  en ces temps d'auto-suffisance généralisée des familles, de gloire autoproclamée des parents, la difficulté à être mère... Joan Didion affronte à soixante-dix huit ans  ses peurs, ses insuffisances, revenant avec émotion sur la complexité de l'adoption, sur ce qui se joue dans l'amour que l'on a pour ses enfants, et dans celui qu'ils ont pour nous. 

 Déjouant la tentation d'une complicité  pathétique avec son lecteur Didion impose la douleur qu'elle récite comme la sienne, mise en forme par elle - un langage poétique de reprises, de scansions et de ruptures. Elle impose aussi de se souvenir de la nécessité où l'on se trouve, un jour, de penser l'inévitable effacement - des images, des traces, - de soi. Et la solitude, immense, qui est la sienne. On en frissonne.


Qui prévenir. je réfléchis encore.
Mais toujours aucun nom ne me vient.
(...)
Une seule personne a le droit, a besoin de savoir.
C'est elle, bien sûr, la seule et unique personne à avoir besoin de savoir.
Je voudrais juste m'enfouir sous terre
M'enfouir sous terre et m'endormir.
Je m'imagine la prévenir.
Je suis capable de m'imaginer la prévenir parce que je la revois encore.
 Bonjour les Mamans.
De même que je la revois arracher les mauvaises herbes du court en terre battue de Franklin Avenue.
De même que je la revois assise sur le parquet répondre au huit pistes en chantant d'une voix suave.
Do you wanna dance. I wanna dance.
De même que je revois les stéphanotis dans sa natte, de même que je revois le tatouage de fleur de frangipanier à travers son voile. De même que je revois les semelles rouge vif de ses souliers quand elle s'agenouille devant l'autel. De même que je la revois, dans la cabine du haut, plongée dans le noir, du vol de nuit de la Pan Am de Honolulu à LAX, inventant l'heureux et inattendu revers de fortune de Lapinou.
Je sais que je ne peux plus l'atteindre.
je sais que, si j'essaie de l'atteindre - de lui prendre la main comme si ele était assise à côté de moi dans la cabine du haut vol de nuit de la Pan Am de Honolulu à LAX, de l'endormir en la berçant au creux de mon épaule, de lui chanter la chanson du papa parti chercher une peau de lapin pour y emmitoufler son petit bambin-, elle est vouée à m'échapper.
A disparaître.
A sombrer dans le néant: le vers de Keats qui l'effrayait tant.
 A pâlir comme pâlit le bleu de la nuit, à s'éteindre comme s'éteint la clarté.
A se fondre de nouveau dans le bleu.
J'ai de mes propres mains placé ses cendres dans le mur.
J'ai de mes propres yeux vu les portes de la cathédrale se refermer à six heures.
Je sais ce que c'est, ce que je suis en train de vivre.
Je sais ce qu'est cette fragilité, je sais ce qu'est cette peur.`
Ce n'est pas la peur de la perte.
Ce qui a été perdu est déjà dans le mur.
Ce qui a été  perdu est déjà derrière les portes closes.
C'est la peur de ce qui reste à perdre.
Peut être ne voyez-vous rien qui puisse encore être perdu.
Et pourtant il n'est pas un seul jour de sa vie où je ne la revois pas. 

Le bleu de la nuit ( Blue nights), Joan Didion, traduction de Pierre Demarty, Grasset, 2013.

mardi 8 janvier 2013

ZADIE SMITH / Dix règles d'écriture


1- When still a child, make sure you read a lot of books. Spend more time doing this than anything else./ A l'âge de l'enfance, assure-toi de lire beaucoup de livres.

2- When an adult, try to read your own work as a stranger would read it, or even better, as an enemy would. / Devenu adulte, tache de lire ton propre travail avec les yeux d'un étranger, ou mieux encore, avec ceux d'un ennemi.

3- Don't romanticise your "vocation". You can either write good sentences or you can't; There is no "writer's lifestyle". All that matters is what you leave on the page./ Ne romance pas ta "vocation". Tu as le choix entre écrire de bonne phrases ou de mauvaises; il n'y a pas de "style de vie" qui serait celle d'un écrivain. Tout ce qui importe, c'est ce que tu déposes sur la page.

4- Avoid your weakenesses. But do this whithout telling yourself that the things you can't do aren't worth doing. Dont mask self-doubt with contempt./ Evite tes points faibles. Mais fais-le sans te raconter que ce que tu ne sais pas faire ne vaut rien.
5- Leave a decent space of time between writing something and editing it./ Laise passer un délai convenable entre l'écriture  d'un texte et son édition.

6-Avoid cliques, gangs, groups. The presence of a crowd won't make your writing any better than it is./ Evite les cliques, les bandes, les groupes. Ce n'est pas la présence d'une foule qui rendra ton écriture meilleure. 

7- Work on a computer that is disconnected from the internet./ Travaille sur un ordinateur qui n'est pas connecté à internet.

8- Protect the time and the space in which you write. Keep everybody away from it, even the people who are most  important to you./ Protège les moments consacrés à l'écriture ainsi que le lieu où tu écris. Tiens tout le monde à l'écart y compris les personnes qui comptent le plus pour toi.

9- Don't confuse honours with achievement./ Ne confond pas récompenses et réussite.

10- Tell the truth through whichever veil comes to hand - but tell it. Resign yourself to the lifelong sadness that comes from never being satisfied./ Dis la vérité quel que soit le voile sous lequel elle te tombe dans la main -dis-la. Résigne-toi à être triste, tout au long de ta vie, de la tristesse que cause une éternelle insatisfaction.

Texte et photo publiés dans le Guardian, 2010 ( texte). Traduction: Persona.

lundi 7 janvier 2013

HENRY BAUCHAU / Pierre & Blanche, souvenirs...



Le livre dont il est question ici semble annoncer un double hommage, et traiter à parts égales de deux figures complémentaires, celles du poète Pierre Jean Jouve et de sa femme, Blanche Reverchon. Or c'est à l'évidence de Blanche, "non-écrite" et très aimée qu' Henry Bauchau souhaite se souvenir, Blanche à laquelle il doit tout, depuis sa première cure psychanalytique avec elle, qui dura trois ans.
Dès les années quatre-vingt, l'auteur de "La Déchirure" exprime le souhait d'écrire sur ce couple mal connu. C'est un échec, dont il reste quelques traces, fragments velléitaires sous les formes diverses d'un entretien, de lettres, ou de poèmes... "Pierre & Blanche " exhume ce matériau, sans liant, conservant au contraire ses redites, ses retours en de puissants méandres. Comme dans l'analyse, où la parole agissante devient, au fil des séances, une île, surgie souvent dans la difficulté,  dans le hors-temps des habitudes  mais en pleine "connivence des temps" du souvenir et du dire...

Blanche Reverchon est donc à peu près inconnue de tous. Sur le net on trouve une seule photographie d'elle. On la devine, derrière un immense bureau, austère, concentrée, vieillissante déjà. Pourtant cette femme étonnante n'avait pas que le seul talent de l'écoute... Médecin, psychanalyste ( reçue plusieurs fois par Freud à Vienne, elle voulait que la maître la prenne en analyse) et docteur en philosophie, elle épouse Pierre Jean Jouve en 1924. De leur vie commune il y a peu à savoir: en public, lui "parlait seul, Blanche ne disait jamais un mot." Figure idéalisée et d'autant mystérieuse, elle fait preuve d'une dévotion anachronique à son mari: elle  le prend littéralement en charge, son activité de psychanalyste permettant au ménage de soutenir le train de vie dispendieux initié par Jouve, et de nombreuses lettres à Henry Bauchau attestent de leur gêne - Blanche Reverchon-Jouve n'hésite pas à demander de l'aide à son ancien patient.

Rôle décisif, bien sûr auprès d'un homme au caractère difficile, colérique... Femme -volontairement- de l'ombre, Blanche Reverchon- "ange du foyer"- Jouve pourrait paraître insupportable... Oui mais, voilà, la dame échappe aussi à cette catégorisation, par le souvenir percutant de sa pratique professionnelle, tel qu'elle l'a laissé dans la mémoire de son  analysant le plus célèbre. Celle dont Bauchau avoue: "J'ai écrit pour elle, toute mon oeuvre tourne intérieurement autour d'elle et pourtant je ne l'ai pas encore écrite" est clairvoyante et charismatique.  Rendez-vous après rendez-vous la Sybille l'aide à se construire comme écrivain. Soulevant le voile avec des requêtes fortes - "Vous ne pourriez pas produire des rêves?"-, mettant à jour, limpides, les désirs profonds- "le levier de votre analyse, c'est l'écriture"- et les realia: " Nous ne sommes pas dans la réconciliation. Nous sommes dans la déchirure. On peut vivre aussi dans la déchirure, on peut très bien."
Pour le dire en une phrase, me reviennent les mots d'Hubert Nyssen,  écrivant, à propos de Joyce Mansour: elle prodiguait sa parole, rare, "comme elle eût ensemencé un champ d'incertitude"...

"En entrant chez la personne on s'embarrassait dans de grands rideaux gris. Ces rideaux faisaient penser à un gouvernement sévère. Peut-être était-ce l'abondance de gris dans la chambre qui suggérait la présence d'un cardinal maigre, teinté de grandeur espagnole, avec en arrière-plan les mots: exécution capitale. On luttait péniblement contre ces images pour avancer vers la personne réelle, mais on la distinguait mal car il fallait d'abord laisser pénétrer en soi un divan recouvert d'une peau de bête. Cette peau avait une forme et une contenance humiliées. On ressentait le choc de cette humiliation et c'est après qu'on voyait la femme.
Elle était debout, devant son fauteuil, tenant, comme on s'y attendait, une couverture dont elle se protégeait les genoux. Cette couverture signifiait le passé. La personne- mais était-ce la persone réelle?- qui s'asseyait avec le passé sur les genoux, était ancienne, elle n'était pas vieille. On avait en face de soi une femme avec tous ses pouvoirs et, en plus, le poli du temps. On savait que dans une existence antérieure, ou peut-être dans celle-ci par le jeu des images, elle avait exercé la magistrature profonde et proféré les paroles de la terre. 
On l'appelait madame mais, intérieurement, on était obligé de nommer une Sybille, ce qui était dangereux, car c'est avec elle que s'engageait, sur une couche obscure, le véritable dialogue.
Je faisais donc semblant de m'asseoir et d'expliquer quelque chose mais je n'avais aucune conscience de ce que je racontais à cette dame, étant entièrement absorbé par la signification de la Sibylle."

 Henry Bauchau, Souvenirs sur Pierre Jean Jouve et Blanche Reverchon, Actes Sud, 2012.

Image: La maison du docteur Edwards, Hitchcock.

mardi 1 janvier 2013

MARGUERITE DURAS / La passion suspendue...(bis)

  Pour inaugurer l'année 2013, rien de mieux à l'horizon immédiat( le Joan Didion,  écrit autour de la mort de sa fille Quintana ne sortira que la semaine prochaine et le temps m'a manqué jusque là pour ouvrir les deux volumes d'Alejandra Pizarnik sortis chez Ypsilon fin novembre...) que la reprise des entretiens inédits de Marguerite Duras, évoqués hier encore, dans la fébrilité de l'avant "coup de feu"  de la Saint Sylvestre et du dernier post de l'année! J'y parlais sérénité, détachement; à re-feuilleter le livre, dans la somnolence de l'"after"... j'ai manqué de décrire les poussées de fièvre, la reprise exigeante, la mise en tension... Surgies au détour d'un mot ou d'une idée amenés par son interlocutrice, Marguerite Duras - elle y excelle-   vrille chacun(e) jusqu'au point où elle  en extrait cette phrase au rythme inimitable,  là où les mots se tiennent au plus au près de ce qu'elle veut partager. Cette  phrase, sa phrase, définitivement, nous ravit.

"... le processus même de votre écriture?

...Une injonction très ancienne, la nécessité de se mettre là à écrire sans encore savoir quoi: l'écriture même témoigne de cette ignorance, de cette recherche du lieu d'ombre où s'amasse toute l'intégrité de l'expérience.
(...)
J'écris pour me vulgariser, pour me massacrer, et ensuite pour m'ôter de l'importance, pour me délester: que le texte prenne ma place, de façon que j'existe moins. Je ne parviens à me libérer de moi que dans deux cas: par l'idée du suicide et par celle d'écrire."

Marguerite Duras, La passion suspendue, entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre, Seuil, Paris, 2013.