"(Au café) La Russe est passée. La plaie de ses lèvres brûlait dans son visage pâle. Elle est venue et elle est passée portant la fleur et la plaie de ses lèvres. D'un pas élégant, trop simple trop conscient elle est passée. La neige continue de tomber et fond indifférente dans la boue de la rue. La petite couturière et l'avocat rient et bavardent. Les cochers emmitouflés sortent la tête de leurs cols comme des bêtes stupéfaites. Tout m'est indifférent. Aujourd'hui ressort tout le gris monotone et sale de la ville. Tout fond comme la neige dans ce bourbier: et je sens qu'est douce cette dissolution de tout ce qui nous a fait souffrir.
D'autant plus douce que bientôt la neige s'étendra inéluctablement en un linceul blanc et alors nous pourrons reposer dans des rêves plus blancs encore.
Il y a un miroir devant moi et l'horloge bat: la lumière m'arrive des portiques à travers les rideaux de la vitre. Je prends la plume: j'écris: quoi, je ne sais pas: j'ai du sang sur les doigts: j'écris: " dans la pénombre l'amante s'agrippe au visage de l'amant pour écorcher son rêve...etc." "
Dino Campana, La journée d'un neurasthénique, Harpo&, 2012.
Photographie: Asja Lacis