jeudi 3 novembre 2011

Grisélidis Réal, Mémoires de l'inachevé.



Depuis cinq ans les éditions Verticales donnent à lire une des plus belles proses de la francophonie, l'oeuvre d'une suissesse au prénom d'ingénue de conte de fées,Grisélidis, dont les photographies laissent sourdre dans le regard, le visage, un je ne sais quoi d'ineffablement altier et rayonnant - dû à ses origines tziganes ? Grisélidis a été belle, cultivée, prostituée et elle fut l'auteur de textes à la puissance sidérante, avant de mourir lentement d'un cancer en 2005.


Deux ans déjà  que le journal tenu pendant son emprisonnement à Munich en 1963 -"Suis-je encore vivante?"- nous avait bouleversé tant il faisait écho à d'autres oeuvres qui nous ont marqué autour de la prison et des femmes (Jane E. Atwood, bien sûr). Alors même qu'elle s'inquiétait de la possibilité, un jour, d'être lue- le devenir écrivain ne tient souvent qu'à ce tremblement-là- son récit libérait une voix portée par la colère et le désir de (sur)vivre au-delà des murs, et, malgré son désespoir, déjà tendue vers les autres, ses "soeurs" de peines écrasées sous le poids de leurs déveines et trop souvent, de leur misère.

Plus tard -mais publié en premier, il inaugura la carrière littéraire de Grisélidis Réal- le récit autobiographique "Le noir est une couleur" déployait les aléas, les affres de ses  amours crues et désolées avec son amant schizophrène, Bill, puis la rencontre magnifique de Rodwell, le soldat américain dont elle célèbre la couleur. De là tout se précipite: l'Allemagne, la prostitution, la "rayonnante pauvreté" des campements gitans...

Putain enragée, putain amoureuse,fervente, putain et mère de quatre enfants qu'elle a aimés, putain et écrivaine, lectrice affamée ( Akhmatova, Puchkine, Beauvoir)... Griselidis Réal n'a eu de cesse de se jouer, par nécessité et souvent avec jubilation des représentations puritaines qui encodent et figent ce qui a été pour elle une profession dont elle a fait et revendiqué le choix.
Constamment en lutte contre les préjugés, les infections atrocement douloureuses ( plus tard ce sera le cancer, lisez "Les Sphinx"), pour obtenir la garde de ses enfants ou bien un logement, pour sa liberté propre et celle de tous ceux qui vivent à la marge (travestis, gitans...)ou en sont privés,   au bord du découragement, de l'épuisement, elle confie à l'ami cher Maurice Chappaz:" Je suis si heureuse (...) d'être faible, livrée à mes instincts que je sens puissants (.... J'aime tous les démons qui me possèdent."

Et de solliciter dès 1977 sa ré-inscription à Genève "parmi les courtisanes (...) et ceci pour toujours."

Car pour celle qui refusa la psychanalyse au motif que "le soi n'est pas si important que ce qu'on en fait", l'amour reste au coeur de l'existence, sous toutes ses formes, celui qui se tarife, et celui qui engage tout entier. Rien n'a su entamer l'aptitude à l'amour, à la souffrance d'amour -"Hélas, je suis de celles qui sont blessées longtemps"- de Griselidis Réal. Vibrante et caressante avec tous "ses" hommes, elle rappellera jusqu'à sa fin "(qu') il faut être heureux comme des fous d'exister".


"Une immense angoisse m'étrangle. On verra, il faut espérer que tout n'est pas foutu, que je n'ai pas crevé tout à fait en vain sur ce texte, qu'il y a un espoir, une lueur. J'ai peut-être encore plus souffert à l'écrire qu'à le vivre. C'est terrible quand on a pour tout terrain des sables mouvants, qu'on n'a jamais rien possédé, ni  langage, ni pensée."


Grisélidis Réal, Mémoires de l'inachevé, lettres, éditions Verticales, Paris, Octobre 2011.

4 commentaires:

  1. je lis à l'instant dans la bio consacrée à Frieda von Richthofen (éditions Autrement): "Nous devrions danser notre joie d'être en vie dans la chair, de faire partie intégrante du cosmos vivant et incarné."

    D.H.Lawrence, L'Apocalypse, traduit par Gilles et Fanny Deleuze, 1978, Balland.

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  2. J'ai découvert avec vous ce soir cette étonnante personnalité.

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  3. une véritable révélation, une personnalité btellement forte et originale

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  4. une véritable révélation, une personnalité btellement forte et originale

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