vendredi 13 janvier 2012

Elizabeth Bishop, Une folie ordinaire (1938-1977).

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D'Elizabeth Bishop, on pourrait rappeler qu'elle était l'amie de Marianne Moore, et qu'elle fut traduite, entre autres, par Alix-Cléo Roubaud et Claire Malroux. Mais cela ne suffirait pas...
En France, quelques recueils de ses poèmes sont encore disponibles chez Circé, ainsi qu'une poignée de nouvelles, lapidaires et brillantes, dessinant, sous les reliefs d'une Amérique désolée, les contours d'une géographie personnelle marquée par la solitude et la disparition. 
C'est d'elles que je veux parler ici. De ces pages banalement poignantes. Du "Baptême", façon d'hommage aux soeurs Brönte; de l'implacable récit de la mort, par une nuit glaciale, de deux enfants qui pensaient s'abriter dans une grange; d'un étrange personnage qui collecte, lit, classe tous les papiers imprimés qui jonchent une plage...
Je cherchais cependant le noyau dur du recueil... Il se trouve, selon moi, dans la nouvelle intitulée "Gwendolyn", histoire d'une fascination d'une fillette pour une autre, pâle, diabétique et évidemment adulée, culminant avec sa mort insoutenable tant elle cristallise -comment le dire autrement- chez la première d'émotions contraires et violentes: jalousie, admiration, détestation, curiosité barrée par l'absence... et l'étrangeté surgit, et d'elle encore, le souvenir.
Mais alors que je pensais en avoir terminé, voici que la dernière nouvelle, plus ouvertement autobiographique encore,  plus longue aussi -et tellement triste- explore les désordres d'une folie naissante et irrépressible.
En écho, de l'auteur elle-même (in Paris Review, 1978): " Mon père est mort, ma mère est devenue folle quand j'avais quatre ou cinq ans. Ma famille: je crois bien qu'ils étaient tous tellement désolés pour cette pauvre enfant qu'ils ont tenté de faire de leur mieux. (...) Mais mes rapports avec ma famille- j'ai toujours été une sorte d'invitée, et je crois que j'en ai toujours été consciente." 
 

"Mais maintenant, tout à coup, alors que je regardai par la  fenêtre, il se passa quelque chose en face, à l'église. Quelque chose qui ne pouvait pas s'être produit, et je devais donc, en réalité, avoir vu quelque chose qui y ressemblait et avoir imaginé le reste; ou alors je m'étais tant concentrée sur une seule chose que je n'avais rien pu voir d'autre.
Les deux hommes vêtus de noir réapparurent, portant à eux deux le petit cercueil blanc de Gwendolyn. Puis - c'est là que se trouvait l'impossibilité- ils le posèrent tout près de la porte de l'église, une extrémité dans l'herbe et l'autre un peu surélevée, appuyée contre le mur et formant un léger angle. Puis ils disparurent à l'intérieur. Pendant une minute je gardai les yeux fixés, à travers mes rideaux de dentelle, sur le cercueil de Gwendolyn, dans lequel Gwendolyn était enfermée, invisible, pour toujours, tout à fait seule devant la porte de l'église.
Alors je courus en hurlant vers la porte de derrière, déboulai au milieu des poules blanches qui s'égayèrent, avec ma grand-mère, toujours en pleurs, courant derrière moi."

Elizabeth Bishop, Une folie ordinaire, Circé, Paris, 1992. 

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