mardi 3 avril 2012

William Faulkner, Evangeline.

"Je n'avais pas vu Don depuis sept ans, et je n'avais pas eu de nouvelles de lui depuis six ans et demi, quand je reçus en P.C.V. le télégramme suivant: T'AI TROUVE UN FANTOME VIENS LE CHERCHER SUIS ENCORE LA QUELQUES JOURS."

Quelques cinquante pages plus tard, format poche, peu de nouvelles m'auront laissée sur cette impression d'un texte qui résiste,tant la trame est enchevêtrée sous les voiles du récit sudiste, de la ghost novel et de la tragédie morbide. Parce que la parole, non, les paroles, y sont systématiquement gênées, court-circuitées, par mimétisme peut-être avec la mémoire flottante, abîmée, de son héroîne- pour autant que la vieille noire en soit l'héroïne...

D'Evangeline, il n'est jamais mentionné le nom, l'identité; seule sa présence "absente" flotte au-dessus du  texte, réminiscence de Longfellow et de son poème sur la déchirure d'une femme séparée de son époux lors du "grand dérangement" d'Acadie; une déportation à l'origine de la présence cajun en Louisiane.

De quels secrets la vieille femme noire est-elle la gardienne,alors, elle qui veille et éloigne les curieux, attirés par la demeure des Sutpen, en ruines et pourtant d'apparence, hantée? Qu'est-ce que ce cerbère farouche dont il se dit qu'il a traversé les époques, que c'est le même chien que celui du fils de la maison, soldat pendant la guerre de Sécession? De quels drames dérobés à l'histoire, à la connaissance des autres cette demeure délabrée fut-elle le sinistre théâtre?

Il faut faire retour...

Henry Sutpen se  brouille de manière incompréhensible avec le prétendant de sa soeur; quatre ans plus tard  il ramène à Judith, en guise d'époux, un cadavre.
Une sale histoire que cette dernière balle qui a atteint Charles Bon... Sa bigamie n'y est pas étrangère, mais ne suffit pas à

tenir éloignées d'autres suspicions, plus troubles encore.

Car le chien, toujours lui, hurle à la mort. Et Henry Sutpen moribond, reclus pendant quarante années,  achève de se décomposer sur le tas des secrets familiaux.

Métissages inavoués, tabous sur le sang, la race, à demi délivrés par les paroles qui se croisent, sont à la toute fin du récit dégorgés par une image, une icône,enclose dans une boîte en métal, dont la serrure avait été martelée par Judith afin d'en empêcher l'ouverture. Boîte de Pandore réchappée d'un incendie qui ravage la maison Sutpen,et scelle la part maudite d'une mémoire familiale, historique.


"J'étudiai tranquillement le portrait: le visage lisse, ovale, sans défaut, les lèvres charnues, pleines, un rien relâchées, les yeux brûlants, somnolents, secrets, les cheveux noirs de jais imperceptiblement mais indiscutablement crépus- tous les sceaux indélébiles et tragiques du sang noir y étaient."

L'autre femme... la femme noire, l'ennemie, de sang, de rang, dans ce vieux Sud déliquescent et putride. L'ennemie dont on pouvait respirer la proximité encombrante; celle qui se tenait dans les cuisines, les champs de coton alentour, les granges; on la  reléguait parfois à la ville, à la Nouvelle-Orléans... ou bien elle restait, soeur bâtarde, aussi fidèle qu'un chien.

On nous avait mis en garde: " Vous saurez ce que je dirai. Ce que je dirai pas, vous le saurez pas." 

C'est qu'en Grec ancien, "témoin" se dit "martyr"...


images: Clarence John Lauglin.
Evangeline, William Faulkner,traduction Michel Gresset, Mercure de France, 1998.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire