jeudi 16 octobre 2014

ANGELICA GARNETT / Vérités non dites

 

Même si elle fut la dernière chroniqueuse d’un groupe de Bloomsbury qu'elle a connu de l'intérieur, ce serait une erreur de réduire le travail littéraire d'Angelica Garnett à ce seul pan documentariste.

Les quatre nouvelles (l'une est un petit roman, dur et brillant) réunies sous le titre éloquent de Vérités non dites ne laissent aucun doute sur ses qualités d'écrivaine. Petits mensonges, trahisons fatales, ressassements douloureux, personnages en quête d’amour et de reconnaissance… L'opacité des êtres se raconte à travers des situations acméiques à couper le souffle et transpirent de notre côté du réel. 
Au-delà du récit de relations compliquées, d'une impossible compréhension et de l'étrangeté des comportements entre proches, qu'éclairent si faiblement les lueurs d'une rétrospection  maladroite,  Angelica Garnett ne cesse de projeter la difficulté criante qu'elle a (eu) à exister.
Cette difficulté est d'évidence, quand mère et tante - les soeurs Bell- sont des  figures féminines d'exception, soufflantes de beauté et d'intelligence, consacrées toutes deux à leur pratique artistique ( la maternité en plus pour Nessa), quand on connaît la qualité symbiotique de leur relation et les remous qu'elle engendrait chez Virginia, torturée par la jalousie et maintenue dans une dépendance affective destructrice... Que dire ensuite du choix de la jeune Angelica, à la photogénie d'elfe préraphaélite, d'épouser, en guise de geste émancipateur,  un homme - l'écrivain David Garnett- dont la relation avec son père biologique - Duncan Grant- était notoire?...

Pas étonnant que ces fictions dégorgent toute une confusion sentimentale, toute une incertitude, celle d'une personne qui peine à se rassembler, à se ressembler. Quels que soient les prénoms de ses héroïnes Angelica Garnett se devine dans leur ombre, tremblante mais déterminée. 

Que les jeunes femmes tachent de s'émanciper de mères extraordinaires, et voici la nouvelle intitulée Aurore qui surexpose  deux personnages, dont l'une, la narratrice, piège mortellement l'autre, à l'ombre immense d'une mère idéalisée. Trop aimante, trop puissante, délétère. Pour échapper à l'engloutissement, peu de stratégies valables.

Ailleurs, c'est une femme plus âgée, seule, qui sombre dans le tourment d'une Amitié délicate, entachée de non-dits et d'embarrassements. La vérité n'est pas bonne à dire, elle ne l'est pas non plus à entendre... 

Impossible pour ces personnages féminins de ne pas se tailler aux rêts d'une phrase tranchante, d'une lettre irraisonnée, d'une conversation brouillée par la retenue des sentiments, lourde de conséquences. Quelle est/ fut /serait la juste distance entre les êtres? Existe-t-elle quand on aime? Qu'est-ce que le déraisonnable? Pourquoi d'aucuns s'engouffrent-ils dans l'intenable, là où d'autres peinent à secouer leur joug? Nul dans toutes ces nouvelles ne saurait se contenter des chemins tracés par la vie... Or pour chaque infléchissement le tribut est terrible, exempt de toute possibilité de compassion: mort, solitude, regrets obsédants. Points de non-retour. "Choses dernières". Absence, à l'autre d'abord. Le tuer parce que confusément, il constitue une menace. Sombrer dans la désolation. En vain. Parce qu'il est des réparations impensables.

Angelica Garnett, Vérités non dites, Christian Bourgois, Paris,avril 2012.

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