lundi 8 avril 2013

LAURE / Une rupture (1934)

Lu sans reprendre mon souffle ces lettres de Colette Peignot -le nom réel de Laure, baptisée ainsi d'après un de ses textes par Leiris et Bataille- écrites pendant l'année 1934.   Celle de la rupture avec son compagnon Boris Souvarine.
Ces lettres confisquées au public par Souvarine lui-même et jalousement surveillées (le frère de Colette et lui-même s'opposant au "clan" Bataille qui avait déjà proposé une édition sauvage des écrits de Laure) sont poignantes et éprouvantes, mûes par la nécessité de se déprendre.  L'auteur, prise au piège d'une relation amoureuse délétère, affronte ce qui n'en finit plus d'être une rupture,dont les derniers soubresauts sont d'autant plus pénibles que la peur de la perte réactive chez son amant une conduite perverse, "destructrice"-c'est le mot de Colette Peignot.  


"N'as-tu pas remarqué que je me décomposais totalement ces derniers temps?"
On comprend que Boris Souvarine ne pouvait envisager de rendre publics, non les infidélités de Laure, mais son défaut de coopération dans le processus de guérison de la jeune femme, hospitalisée à la clinique de Saint-Mandé dans un état de souffrance et de tension terriblement dangereux pour elle, déjà fragilisée...
"Je suis un être absolument seul-
sans famille-
sans amis"
 L'échange épistolaire révèle en effet que Souvarine, loin d'accompagner Colette dans son désir de rupture et dans son souhait d'une évolution de leur relation vers un apaisement qu'elle réclame continûment oppose une résistance dont la moindre raison n'est pas la rivalité avec George Bataille...

Quand elle supplie pour obtenir son écoute, il lui oppose son propre désespoir, de l'incompréhension, de l'hostilité. La pression qu'il exerce sur celle qui voudrait le quitter est d'autant plus terrible qu'elle se nourrit, je l'ai déjà dit, de son propre déséquilibre psychique. Force est de constater, à lire les plaintes de Colette, que Souvarine ne l'entend pas, ne veut ni ne peut l'aider à se détacher. Il entretient la fragilité, le désordre émotionnel de sa compagne, posture destructrice qu'autorisent apparemment les médecins et le frère de Colette Peignot.

"...il a besoin de porter ma vie pesante pour pouvoir me le reprocher."

Or tout est brûlant de ce que Laure écrit...

"La vie me prend à la gorge."

...Impossible de ne pas réagir à la détresse exprimée, impossible tout autant de ne pas être gagné à sa tentative de vivre absolument, d'aller sa vie au plus près de soi-même, en étant consciente de ses propres contradictions insolubles, de ses oscillations d'un côté ou de l'autre de la ligne rouge.

"Je suis double et toujours sincère."

Elle-même reconnaît son masochisme, avoue préférer souffrir que faire souffrir; elle est versatile, défaille, et semble relancer la relation à coups d'espérances improbables. Mais elle s'acharne surtout à essayer d'aller mieux, à réclamer de l'éloignement (elle étouffe) et de la reconnaissance. Colette souffre de ne pas être mise à la bonne place ( trop haut ou trop bas), d'être paralysée de peur et de ne pas arriver à penser en présence de son amant... Elle déplore toujours la dépendance mutuelle où ils se sont enlisés...

"je te supplie de te reprendre de m'aider par la vie dans la vie-"

 En somme, elle analyse, plutôt brillamment, courageusement, du fond de sa dépression,  la faillite de leur histoire.

Il lui faudra deux années encore avant de rejoindre George Bataille.
" Je me sens terriblement en face de moi-même."

Reste que, tuberculeuse, blessée dans sa chair par une enfance pleine de deuils, d'absence d'amour, de révolte contre sa famille catholique, bourgeoise - sa mère est un cauchemar-  Colette Peignot, qui a déjà frôlé la mort dans une précédente histoire avec Jean Bernier, reconduira ce schéma de soumission, une fois de trop. L' homme charismatique, puissant auquel elle se livre, on le sait, c'est George Bataille. Pour la dernière fois, elle rejoue l'expérience de l'abjection et  meurt en 1938, âgée de 35 ans, chez son amant.

Pour nous elle existera désormais sous les traits de Dirty, dans le "Bleu du ciel". Il faudra attendre une Kathy Acker et son roman "Mother of Demonology" pour une relecture radicale de leur liaison. On attend toujours une traduction. Mais ceci est une autre histoire.


Laure, une rupture, 1934 texte établi par Anne Roche et Jérôme Peignot, éditions des cendres, 1999.



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