mardi 1 juillet 2014

DANS LES VALISES... /


Richard Farina, L'avenir n'est plus ce qu'il était, 10/18.

Dans l'ombre des stars de la Beat generation - Kerouac, Cassady, Ferlinghetti, Ginsberg- un jeune homme sombre, au visage anguleux et grave.  Chanteur folk auprès de sa jeune femme, Mimi, une petite soeur de Joan B., il est l'auteur d'un unique roman que sa disparition accidentelle quelques jours après sa parution propulse du côté des livres cultes, pour autant pas si faciles à se procurer... La légende se repaît alors des atours d'un corps, d'un visage à jamais jeunes, iconisés.  Rien dans "Been down so long it looks like up to me" n'a l'air vraiment abouti , mais c'est tant mieux que ce texte ahuri, brouillon, tout entier tourné vers le jeu - de masques, de rôles, à la vie à la mort.

Joyce Carol Oates, Mudwoman, Philippe Rey, Paris, 2013.

Parce que c'est l'été... et qu'avec JCO, il n'y a pas vraiment de surprises: soit c'est un mauvais cru, redondant et creux - dans ce cas, eh bien, il s'oubliera sur une plage bretonne - soit c'est un récit implacable et glaçant, excellent prétexte pour revenir vers un auteur dont le journal paru il y a quelques années m'avait paru "tenir le coup", sans rien dire d'un petit recueil sur le métier d'écrire, pas si mal non plus... ( En oubliant volontairement l'objet livresque non identifié et passionnant que constitue Blonde!)


Colette Peignot, Les cris de Laure, éditions Les Cahiers, Paris, Juin 2014.

Irrésistible dès qu'entrevu, il disparaissait de la pile d'occasions même pas encore répartis dans les rayons de G.! Il suffit d'ouvrir  ce mince livret d'écrits et lettres inédits pour se gorger de phrases telles que "Laisse-moi te dire sans suite mille choses et tout moi-même" ou " Il n'y a plus autour de moi que les éboulements et les échafaudages d'une ville mort-née".
Pour noircir les carnets de l'été... et retourner au plus vite vers d'autres pages, lancinantes, bouleversantes.

Le Black Mountain College, Alan Speller, La lettre volée, Paris, Juin 2014. 

Je tourne depuis plusieurs mois déjà autour de la figure d'Ani Albers, redécouverte à l'occasion d'une exposition remarquable qui s'est tenue l'automne dernier au MAM. S'y montraient des tapisseries (triste mot au sémantisme polymorphe et quelque peu injuste), des oeuvres de fils, laines et autres matériaux entretissés ou jouant à pendre, étonnants attrape-rêves. Pas de surprise... La plupart des objets, tous splendides, effrayants, ou au contraire, vibrants de couleurs et d'énergie, étaient le fait de femmes artistes, quasi inconnues - si l'on excepte Sophie Tauber et Ani Albers, dont le nom m'était resté en tête après la lecture du  J.M.Chevrier, "La trame et le hasard". Reste à étudier sa participation à l'expérience collective et utopiste du Black Moutain College. Qui a dit qu'une mise en perspective, une contextualisation ne sont jamais inutiles?

Katherine Mansfield, Lettres, Stock, Paris, 1993.

Lues, à relire encore et encore pour s'enivrer à la fièvre, à l'ardeur de Katherine M. -la seule. Le Journal et ses nouvelles feront aussi le voyage, mais les lettres annotées, choisies ont leur place dans ces journées insolentes de l'été, chargées comme de bouquets de mille et uns projets... Voici, je crois, ma préférée, adressée à Lady Ottoline Morrel, proche aussi de Virginia Woolf.

" Hampstead, 28 juin 1919

Ce froid diabolique persiste. Je suis encore dans ma ceinture de sauvetage, plâtrée d'onguents à l'intérieur. Oh! ces nuits- assise dans mon lit à attendre que les arbres noirs deviennent verts! Et pourtant, quand vient l'aube, c'est toujours trop beau et trop terrible. La venue de la lumière paraît si miraculeuse que cela vaut presque la peine de l'attendre. puis, à mesure que les heures sonnent dans la nuit, j'erre à travers des villes - en rêve. Je glisse invisible le long de rues inconnues, je me demande qui vit dans ces grandes maisons aux lourdes portes, ou, sur un quai, je regarde les bateaux appareiller dans l'obscurité et je hume le parfum nocturne de la pleine mer - jusqu'à ce que l'insomnie devienne une béatitude.
Votre propre vie - votre propre vie privée, secrète- quelle chose étrange et réelle! Personne ne sait où vous êtes - personne n'a même la moindre idée de ce que vous êtes.

Les Brontë - hier soir, au lit, je lisais les poèmes d'Emily. En voici un:
Je ne sais comment tombe sur moi
Ce soir d'été, silencieux et solitaire, 
mais le vent faible a, tendrement,
Quelque chose d'un ton passé.

Pardonnez-moi d'avoir fui si longtemps
Votre aimable accueil, terre et brise!
Mais le chagrin flétrit même les forts
Et qui donc peut lutter contre le désespoir?

Ce premier vers, pourquoi est-il si émouvant? Et la simplicité exquise de " pardonnez-moi"... Je crois que la beauté de ce poème tient à ce que nous sommes assurés que ce n'est pas une Emily déguisée qui écrit - mais Emily. Si la poésie moderne nous donne une si piètre satisfaction c'est, en partie, parce qu'on n'a pas la certitude qu'elle appartienne vraiment à celui qui l'écrit. 
Quelle fatigue, n'est-ce pas, de ne jamais quitter le bal masqué - jamais- jamais!
(...)"







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