vendredi 18 juillet 2014

JEROME PRIEUR / Séance de lanterne magique




"C'est un pétillement. Autour d'elle tout doit polir son éclat. L'image n'est peut-être rien à côté de la source qui la diffuse, cette promesse qui lance ses escarbilles et rend le monde translucide: de la lumière, sans vision pour la ternir, le pur rayonnement des choses, sans obstacle, sans écran . N'y aurait-il rien à voir, la lanterne magique est douée d'une vertu exorbitante: elle donne la vue, elle comble le regard, elle l'éblouit.


Qu'est-ce que le monde pour notre coeur sans l'amour?  Ce qu'une lanterne magique est sans lumière: à peine y introduisez-vous le flambeau, qu'aussitôt les images les plus variées se peignent sur la muraille; et lors même que tout cela ne serait que fantômes qui passent, encore ces fantômes font-ils notre bonheur quand nous nous tenons là, et que, tels des gamins ébahis, nous nous extasions sur des apparitions merveilleuses. ( Goethe, les souffrances du jeune Werther, 1787)

Avec la projection, l'image devient en effet proprement lumineuse. Elle est évidente et comme telle elle est aveuglante, elle rend aveugle. Elle est visible mais à perte de vue, si bien qu'il faut y regarder à deux fois, au moins. Elle crève les yeux: elle est ce hiatus qui s'entrebâille entre voir et ne rien voir, voir sans voir, voir ce qu'il ne fallait pas voir, ne pas voir ce qu'il fallait voir, voir regrettant d'avoir vu. L'image est brouillard, elle est ce trouble entre la vue et la bévue, la surprise et la méprise. On la voit, et en même temps c'est la loi de l'image, sa logique, que de passer toujours à côté d'elle."

Jérôme Prieur, Séance de lanterne magique, Gallimard, 1985.

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